Henry Turner, le « Pirate » des parquets
Portrait
Les années 90 ont permis au basket de mettre en exergue les statistiques individuelles à une époque où les joueurs pouvaient marquer de manière frénétique. L’un de ces joueurs est Henry Turner qui peut se targuer d’avoir été un des plus grands marqueurs de son époque, en Europe. Un joueur dévoué à sa cause, capable de pics au score éblouissants et qui est même devenu une légende sur les rives du Bosphore.
DE OAKLAND AUX KINGS EN PASSANT PAR LA MEDITERRANNEE, ITINÉRAIRE D’UN ATTAQUANT QUI SE CHERCHE
Son nom évoque pour les jeunes générations davantage le film « Pirates des Caraïbes » avec Johnny Depp où l’un des personnages est son homonyme. Pour autant, Henry Turner a tracé une voie bien avant ce blockbuster, celle de l’offensive à tout-va. Né en 1966 près d’Oakland, en Californie, le jeune Henry est un pur produit de l’école de basket US. Celle qui offre à de jeunes pousses la possibilité de combiner études et passion pour le jeu dans l’espoir de devenir professionnel un jour. Le rêve ultime, pour les meilleurs, est la possibilité de prospérer en NBA. Dès lors, lorsque Turner débarque en 1984 à l’âge de 18 ans à Fullerton et son université, la dénommée « California State University, Fullerton », à 600 kilomètres au sud de la baie d’Oakland, le rêve est permis. Durant quatre saisons, jusqu’en 1988, il apprend le basket et les rudiments du jeu à Fullerton qui a notamment vu passer dans ses rangs Leon Wood, médaillé d’or aux JO de Los Angeles en 1984 avec Sam Perkins, Chris Mullin, Patrick Ewing et Michael Jordan. Ce même Wood qui est également devenu, pour l’anecdote, après sa carrière de joueur… arbitre NBA. Quatre saisons donc à se perfectionner, à emmagasiner de l’expérience face à différentes universités, c’est un tremplin idéal pour pouvoir voler de ses propres ailes. Cependant, pas encore en NBA puisque la saison 1988-1989 expédie le jeune homme de 22 ans au sein des Rochester Flyers, en CBA. Une sorte de ligue expérimentale quelque peu bancale mais qui permettait à de jeunes joueurs de se faire les dents. Si son équipe de Rochester dispute 52 rencontres pour 16 victoires seulement, Henry Turner développe ses qualités au scoring et termine avec 13 points de moyenne. Une année d’attente et de développement qui lui ouvre finalement les portes de ligue majeure lors de la saison suivante. Avec en bonus, les Kings de Sacramento comme point de chute.

La saison 1989-1990 offre la possibilité à ce pur attaquant d’intégrer une formation qui a terminé sa précédente saison à une piètre dixième place en Conférence ouest avec l’exacte inverse de victoires-défaites que les premiers de la saison régulière, les Lakers (55 victoires et 27 défaites pour Los Angeles contre 27 victoires et 55 défaites pour les Kings). Dès lors, l’arrivée d’un jeune prospect dans une équipe qui se cherche est, au choix, soit une source d’opportunités ou un frein à son développement dans une écurie qui comprend comme principale tête d’affiche Danny Ainge, double champion NBA (1984 et 1986) avec les Celtics. Mais aussi Randy Allen, futur joueur de Cholet lors de la saison 1992-1993 avec comme coéquipier, le « Roi » Antoine Rigaudeau ainsi que Vinny Del Negro qui fera carrière principalement en Italie et le meneur Kenny Smith, futur double champion NBA avec les Rockets, en 1994 et 1995. Citons enfin, pour les mélomanes, la présence de Michael Jackson, futur dirigeant de Nike et Harold Pressley (avec 2 S) qui fera un passage entre 1993 et 1994 à Pau-Orthez. Dans cet ensemble pop-rock mélodieux sans véritable star, notre rookie qui porte le numéro 4 tente de grignoter des minutes et fini la saison avec 36 rencontres disputées.
« C’est à Cal State Fullerton que j’ai appris à jouer au basket. Avant cela, j’étais juste un gars très athlétique qui courait et sautait. Les quatre meilleures années de ma vie de basketteur pour apprendre ont été à California State » (Source : salontribunu.com)
Pour des statistiques peu en rapport avec ses capacités réelles : 4,3 points de moyenne, 1,4 assists et 0,6 rebonds. Pas fameux tout comme la saison des Kings qui terminent la saison à la douzième place de leur conférence. Dès lors, l’avenir NBA semble quelque peu bouché et la raison l’emporte. Le joueur de 23 ans décide finalement à traverser l’Atlantique afin de chercher temps de jeu et fortune du côté de l’Europe. Durant trois saisons, Henry Turner fait ce qu’un Américain débarqué sur le vieux continent peut faire. A savoir, tenter de faire fructifier son talent, chercher des contrats, se montrer et gagner en notoriété pour espérer évoluer dans des écuries prestigieuses. Pour Turner, le premier arrêt se nomme Udine, au nord-est de l’Italie et son équipe, le Emmezeta Udine qui évolue alors en Serie A2, soit la deuxième division italienne. Une aubaine pour ce club qui termine la saison 1990-1991 juste au-dessus de la zone de flottaison, avec une treizième place obtenue en partie grâce aux prestations de l’Américain.
Saison suivante, départ plus à l’ouest géographiquement, direction l’Espagne au sein de Collado Villalba, une charmante bourgade montagneuse située à une cinquantaine de kilomètres de Madrid. Dans un club peu connu et sous un format réunissant 24 équipes, le miracle n’a pas lieu pour Collado en saison régulière. Dernière équipe avec seulement huit victoires, la relégation est évitée grâce aux… play-offs. En effet, cette particularité espagnole de l’époque permet aux huit derniers de la saison régulière de se rencontrer sous ce format. Ce qui permet à Collabo Villalba d’expédier finalement Gran Canaria en seconde division en terminant 22ème sur 24. Un format spécial certes mais personne ne fait la fine bouche puisque la saison a été abominable. Henry Turner a travaillé à la sueur de son front pour délivrer son club de l’enfer de la relégation mais cela en valait la peine. Pour Turner, ce fut même celle de l’apogée avec des statistiques à faire pâlir d’envie (toutes proportions gardées, naturellement), les plus grandes stars de l’époque. Dans une équipe très limitée, le « Roi-Soleil » a été l’arrière américain dont les stats culminent à 27 points de moyenne, 6 rebonds, 2,8 passes avec des pointes allant même jusqu’à 52 points. Un chiffre irréel obtenu face au FC Barcelone lors d’une victoire 89-86 pour son équipe avec ces 52 points inscrits sur 89 au total rien que pour Turner. 39, 36, 50 points, les chiffres sont affolants chaque semaine et permettent à Turner de revenir en Italie la saison suivante. Pour faire la même chose ou presque en Serie A2 au sein du Panna Firenze. L’Américain y tourne à 28 points et 6 rebonds de moyenne mais si les stats suivent, la relégation attend le club qui termine à la quinzième place (sur 16) sa saison 1992-1993.
LE « JORDAN » DE GRÈCE ET BAROUD D’HONNEUR EN NBA
A partir de la saison 1993-1994, la carrière de Turner prend une autre tournure. Après trois saisons à tenter de jouer les sauveurs dans des écuries de seconde zone, l’Américain de 27 ans décide de profiter de sa maturité et de son talent inné pour la marque. En signant en Grèce au sein du Panionios, qui est à l’époque une équipe qui compte notamment sur la scène européenne, le goût de la victoire lui permet de monter en gamme. Entouré par des joueurs de classe avec notamment le génial meneur grec, Panagiotis Giannakis et l’ailier fort Fanis Christodoulou (14 saisons au Panionios), Turner est davantage valorisé et servi. Ce qui met en avant ses propres qualités athlétiques et lui permet de glaner des victoires marquantes. Ce pic de carrière est atteint avec une demi-finale de Coupe Koraç perdue face au futur champion, le PAOK, malgré 30 points du bonhomme. Et lui-même y prend goût puisqu’il termine également meilleur marqueur du championnat grec, devient All-Star et surtout se retrouve sous les « highlights » grâce à des dunks bien sentis et des gestes de classe. Notamment un à 360 degrés après une balle chipée à l’adversaire. Idéal pour rendre fous d’amour les suiveurs du club grec qui le portent au pinacle. Une saison pleine donc avec des victoires, du scoring encore et toujours et un jeu plus épuré dédié au panier grâce à un meneur de jeu sachant le mettre en avant. Que demandez de plus à ce stade de sa carrière ? Turner est ambitieux mais a un amour unique dans sa vie. La NBA et plus spécialement ses Kings fétiches.
Bien évidemment, à ce stade de sa carrière, la question peut se poser après une telle saison mais, en règle générale, les joueurs de ce niveau, en Europe, souhaitent évoluer vers de plus hautes sphères et signer dans des clubs huppés. Mais Turner n’est pas de cet acabit et il tente un baroud d’honneur en retournant aux États-Unis et donc aux Kings, à 28 ans. En théorie, il est plus physique, mature et dans la forme de sa vie mais dans un effectif où seuls Mitch Richmond, futur champion NBA en 2002 avec les Lakers, et Walt Williams se dégagent du lot, Turner fait malheureusement moins bien que lors de son premier passage cinq ans plus tôt. Même s’il troqué son numéro 4 initial pour le 9, son nouveau numéro et les deux seuls de sa carrière professionnelle. Rien de neuf avec 30 rencontres pour une moyenne de 2,3 points et surtout, cette impression d’avoir clairement fait le mauvais choix malgré la neuvième place obtenue par Sacramento dans sa conférence. Le choix du cœur n’a pas payé et cette saison 1994-1995 s’apparente clairement à une ligne comptable digne d’un bon pertes et profits d’entreprise. Une ligne à oublier mais qui reste dans un recoin de la tête à l’heure du bilan.
RENAISSANCE TURQUE, NAISSANCE D’UN TRIO MAGIQUE ET LÉGENDE… TURQUE DU FENER
Qu’à cela ne tienne, en 1995, la question est de savoir pour Henry Turner, comment revenir sur le devant de la scène à l’âge de 29 ans après une expérience américaine clairement mitigée. Mais surtout, où et dans quelles conditions ? Dans cet océan d’interrogations, la lumière vient du Bosphore et de son club phare, Fenerbahçe (phare se disant « Fener » en Turc). Turner racontera plus tard que la cour assidue d’un dirigeant du club turc a fait basculer son destin. Celui d’arriver au sein d’un club omnisports qui essaie depuis quelques saisons de diversifier son potentiel en investissant davantage de moyens dans le basket, sport de plus en plus populaire en Turquie. Dans un championnat national qui est dominé de la tête, des jambes, des bras et du coude par Efes Pilsen (aujourd’hui connu sous le nom d’Anadolu Efes) et son coach mythique, l’illustre Aydın Örs qui enregistre par ailleurs lors de cette saison 1995-1996, le retour au bercail de son meneur fétiche, le Macédonien Petar Naumoski. Un championnat turc en plein essor depuis plusieurs saisons et qui obtient également de bons résultats sur la scène européenne. En témoigne la finale (perdue) de la Coupe Saporta d’Efes Pilsen face au club grec de l’Aris Salonique (50-48) à Turin, aussi célèbre pour son jeu défensif voire même restrictif que pour le chaos final entre joueurs turcs et supporters grecs à la fin de la rencontre.

Pour Fenerbahçe, il s’agit aussi de marquer le coup et tenter de reprendre la main, au sein d’un club qui n’a plus été champion national depuis 1991. Une éternité selon les critères turcs… Dans cette optique, Henry Turner débarque finalement à Istanbul dans une équipe qui a quand même assez fière allure sur le papier. Si le poste de meneur est le maillon faible avec des joueurs de devoirs mais pas de star assumée capable de booster l’ensemble, le reste est plutôt de bonne facture. Turner est bien entouré avec İbrahim Kutluay, le shooteur turc gominé et Dallas Comegys en provenance de Sienne, un ailier-fort US de devoir. Un trio qui marquera l’imaginaire des fans de Fenerbahçe au même titre que les vainqueurs de l’Euroleague, en 2017, tels que Bogdan Bogdanovic, Bobby Dixon, Gigi Datome ou Kostas Sloukas. Ajoutez-y du muscle avec Ermal Kurtoğlu qui se nomme à l’époque ainsi et prendra le nom de Kuqo par la suite en optant pour la nationalité albanaise, le capitaine Güray Kanan et le turco-géorgien au physique de déménageur, Zaza Enden. Enfin, avec Rickie Winslow, passé par Pau-Orthez, arrivé en seconde partie de saison, le coach Murat Didin peut voir venir. Pour sa première saison, en Turquie, Turner fait du Turner en gagnant notamment le cœur des supporteurs les plus fanatiques de Fenerbahçe dès le début de la saison. Lors du derby de la quatrième journée de championnat, Galatasaray remporte la partie d’un petit point contre le Fener. Mais tous les supporteurs des « Canaris » voient de quel bois se chauffe Henry Turner puisque ce dernier marque la bagatelle de 33 points face au rival honni. Un bon départ dans la tête des supporters d’autant plus que le reste est à l’avenant puisque l’arrière américain score encore davantage et permet à Fenerbahçe de finir à la troisième place derrière Efes et Ülkerspor, aujourd’hui disparu, un très bon club à l’époque, en saison régulière. Ce même Ülkerspor qui élimine les jaunes et bleus, 3 victoires à 2, en play-offs par la suite.
Cependant, c’est surtout en Coupe d’Europe, à travers le bon parcours en Coupe Korac qui permet à Turner et au Fener de se mettre en valeur. Après avoir notamment éliminé, lors des tours préliminaires, la JDA Dijon, Fenerbahçe se qualifie, en compagnie du Stefanel Milano lors de la phase de groupe, en quarts de finale. Pour y affronter de vieilles connaissances, l’Efes Pilsen de Naumoski. Après une première manche largement perdue par les « Canaris » (95-68), Fenerbahçe se rebiffe au retour et pousse dans ses derniers retranchements Efes, qui remporte finalement ce tour sur l’ensemble des deux rencontres malgré la défaite (74-56) au point-average. Une saison prolifique pour Aydın Örs et ses protégés, injouables, puisqu’un beau triplé Championnat-Coupe de Turquie-Coupe Korac récompense leur saison.
La saison 1996-1997 du Fener repart sur des bases solides à l’exception du changement de coach, un Murat (Özgul) chassant l’autre (Didin). Mais, si Turner explose ses stats en championnat avec 22 points de moyenne, 6 rebonds et 3 passes décisives, les résultats ne suivent pas. Élimination en seizièmes de finales par l’Hapoël Jérusalem d’un petit point sur l’ensemble de deux rencontres malgré une belle première place initiale en phase de groupe. Élimination en quarts lors des play-offs par Tofaş Bursa avec une piètre cinquième place en saison régulière et 11 défaites subies !! Dès lors, la saison 1997-1998 est celle du rachat avec, étonnamment, le même coach que la saison précédente et le même trio Turner-Comegys-Kutluay aux manettes pour tenter de se racheter. Cependant, mêmes causes et mêmes effets avec une élimination en trente-deuxièmes de la Coupe Saporta face à la Joventut Badalone, une troisième place en saison régulière et une élimination face à… Ülkerspor, 3 manches à 2, comme lors de saison 1995-1996. Bref, sur le papier, on peut se dire que ce passage en Turquie a été mitigé mais pas pour Henry Turner. Tout d’abord, trois saisons pleines dans le même club, ce qui n’est arrivé qu’une seule fois pour l’Américain dans sa carrière, davantage habitué à bouger chaque année. En termes de chiffres bruts, il a été au-delà de ses espérances, notamment en championnat, en étant le fer de lance de Fenerbahçe tout au long de son passage en prenant largement le score à son compte. Mais surtout, il a gagné le respect de tous les fans du club et bien au-delà par son professionnalisme, sa classe et son jeu d’attaque virevoltant. Tant et si bien que bien des années plus tard, son nom fait encore écho à cette période et lui vaut la reconnaissance éternelle des supporters turcs. Dallas Comegys ou Pete Williams (de passage entre 1987 et 1989 à Fenerbahçe et un des premiers joueurs étrangers marquants du championnat turc) peuvent également être inclus dans ce cercle fermé des idoles US. Citons enfin que ce passage stambouliote offre à Henry Turner la joie de posséder un passeport turc et d’un nom local, « Hakkı Uzun », dont la signification est tout un symbole : « grand qui mérite ».

CHANT DU CYGNE ET RECONVERSION ANNONCÉE
La saison 1998-1999 montre le bout de son nez et Henry Turner décide de quitter la Turquie, l’armoire à trophée vide mais le cœur chargé de souvenirs délicieux et d’ambiances de feu. Dans ces conditions, il lui faut trouver un point de chute avant de raccrocher les baskets. Direction l’Italie, à 32 ans, au sein du club de Sienne, dans un road-trip qui n’est que le début d’un parcours oscillant entre l’Italie (Montecatini, Vérone, Milan et Capo d’Orlando, en Série B) et la Grèce (Maroussi, une saison). Si la première partie à Sienne est mettre aux oubliettes, ses quatre dernières saisons italiennes prouvent que le bonhomme en a encore sous la pédale. Grâce à des stats à faire pâlir d’envie la jeunesse triomphante : 19,2 avec Montecatini, 18,8 avec Vérone, 13,9 avec Milan et 18,7 avec Capo d’Orlando. Sans compter les passes et les rebonds dans le lot et Turner montre encore une fois toute sa science du jeu. Mais, tout a une fin et celle-ci arrive à l’âge de 37 ans en 2003.

Avant de prendre une retraite bien méritée, Henry Turner a démontré tout au long de sa carrière qu’il a été un attaquant dont l’unique obsession était de marquer de manière frénétique. Après cette vie de basketteur riche en couleur, Henry Turner, 58 ans aujourd’hui est revenu à son seul et unique amour, en dehors du basket : Sacramento. Homme de médias désormais, participant à des podcasts sur le Net et à la radio et dont les sujets de prédilection tournent autour du basket et des Kings, il distille ses conseils sur la balle orange. Avec passion et une furieuse envie de montrer que le « pirate » d’Oakland n’a pas l’intention d’être sur la défensive. Pas le genre de la maison, loin de là.


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