2012 – Braquage à l’Anglaise
Jeux Olympiques
À l’été 2012, les Bleues ont offert au basket féminin français sa plus belle épopée olympique. Surnommées « les Braqueuses », en référence à leur capacité à renverser des situations compromises, elles sont montées sur le podium alors qu’elles n’osaient à peine rêver d’une médaille. Pourtant, cet exploit ne doit rien au hasard. Il est le fruit d’un projet initié cinq plus tôt sous l’impulsion de Pierre Vincent, l’homme qui a su trouver les bons ingrédients pour former la future équipe vice-championne olympique. De l’absence aux Jeux de Pékin à l’apogée londonienne, retour sur le parcours d’une génération dorée, ou plutôt argentée, qui a marqué l’histoire du basket français.
UN RENOUVELLEMENT CPMPLET DE L’EQUIPE DE FRANCE
Faute d’avoir pu obtenir un ticket pour les Jeux de Pékin en 2008, les rênes de l’équipe de France furent confiées à Pierre Vincent, alors assistant. Il entreprit une refonte totale de la sélection nationale avec pour principal objectif : qualifier l’équipe pour les Jeux de Londres. Différents galops d’essais, cinq au total, allaient permettre à la France de faire ses armes. Dès l’été 2008, cette nouvelle équipe entame son parcours en décrochant son billet pour l’Euro 2009 en Lettonie. Alors que l’objectif initialement affiché était de finir dans les cinq premières positions, cette jeune équipe réalise un véritable hold-up. Invaincues tout au long de la compétition, elles s’offrent le titre en battant la Russie, grande favorite, en finale. Ce sacre historique, second titre majeur du basket féminin français (après l’Euro 2001 à domicile) , est le moment fondateur de la légende des « Braqueuses ».
Les années suivantes s’avèrent plus contrastées : une 6e place lors du Mondial de 2010 et une médaille de bronze à l’Euro de 2011. Mais les Bleues se familiarisent avec les grands rendez-vous, acquièrent de l’expérience et se préparent pour les Jeux de Londres de 2012.
UNE MONTEE EN PUISSANCE PROGRESSIVE
Organisé tous les quatre ans, le tournoi olympique est le graal des compétitions internationales pour de nombreux sports, basket y compris. L’édition londonienne tout particulièrement se démarqua par la présence de nombreuses légendes du sport, les GOAT de leur discipline. Sans dresser une liste exhaustive, citons Usain Bolt, Shelly-Ann Fraser-Pryce, Michael Phelps, Tony Estanguet, Serena Williams, Roger Federer, Teddy Riner. Côté basket, la cuvée de 2012 est également bien fournie avec de nombreuses stars à l’affiche : Kobe Bryant, Lebron James, Carmelo Anthony, les frères Gasol, Diana Taurasi, Sue Bird, Candace Parker, Maya Moore, Lauren Jackson, Elizabeth Cambage etc. Pour espérer se qualifier et réaliser la meilleure performance aux Jeux, la préparation des Bleues débute tôt : dès le 8 mai à Bourges, avec un programme intensif. Entre le 2 juin et le début des Jeux olympiques, elles ne disputeront pas moins de 16 matchs. Mais avant de rêver de Londres, encore faut-il se qualifier. Fin juin, elles s’envolent pour Ankara, en Turquie, afin de disputer le Tournoi de qualification olympique (TQO). Les Tricolores ne tombent pas dans le piège de se laisser surprendre par des équipes présumées moins fortes qu’elles. Appliquées, elles décrochent leur ticket pour les Jeux. Une fois qualifiées, la suite de la préparation est plus contrastée. Lors du tournoi de Sheffield, elles subissent deux défaites face à l’Australie et à la Grande-Bretagne, deux adversaires qu’elles retrouveront en phase de groupes. Toutefois, la dernière phase de préparation, disputée dans le nord de la France, leur permet de rectifier le tir et d’aborder les Jeux avec confiance. La France s’apprête ainsi à disputer le deuxième tournoi olympique de son histoire, après Sydney en 2000.
À cet instant, la joie et l’euphorie dominaient lorsque les joueuses évoquent leur état d’esprit avant la compétition. Interrogée par Basket Rétro, Endy Miyem partage une anecdote : « Lors d’une réunion, peu avant notre départ pour Londres, le coach nous a dit : « Les filles, je vous explique : là, vu le tirage et le format de la compétition, vous partez avec l’excitation de vivre les Jeux, comme si c’était Disneyland. Mais moi, je vois qu’il y a quelque chose à jouer. Si on passe les phases de groupe, alors ensuite, tout peut s’ouvrir de telle ou telle manière ». Je me souviens que certaines ont rigolé, et moi, dans ma tête, je me disais : « Ce serait quand même incroyable d’avoir une médaille autour du cou ». Mais, à ce moment-là, ce n’était pas encore l’idée dominante ». Pour autant, les Tricolores n’avaient pas fait le déplacement outre-Manche sans ambition. Pour Emmeline Ndongue : « On n’était pas là pour faire de la figuration. Il fallait aborder chaque match les uns après les autres afin d’obtenir la meilleure place possible. Sur un malentendu, pourquoi pas la première ! Mais surtout, il ne fallait pas se disperser. »
EN ROUTE VERS L’HISTOIRE : LES BLEUES DOMINENT LEUR POULE
Ainsi, dans une poule au niveau élevé et très homogène, l’objectif était de finir le plus haut et ainsi retarder le plus longtemps possible la rencontre avec l’ogre américain.
- Une entrée en matière réussie
Leur aventure olympique s’ouvre contre le Brésil, une équipe déjà affrontée et battue en préparation. Sans en déterminer l’issue, l’entrée dans une compétition est d’une importance cruciale et les deux équipes l’ont bien comprise. Conscientes de l’enjeu, les deux équipes sont au coude à coude tout au long du match. Mais dans le dernier quart-temps, les Bleues prennent le large, portées par le duo Dumerc-Lawson à la mène et le tandem Yacoubou-Miyem dans la raquette. Déjà, Céline Dumerc, surnommée « Caps », montre la voie : avec 23 points au compteur, elle signe son record personnel en sélection et donne un avant-goût de son tournoi.
- Une victoire historique contre les Opals
Pour leur deuxième match, les Tricolores affrontent l’Australie, l’un des sérieux prétendants au podium olympique et habitué des finales contre la mère-patrie du ballon orange. Un adversaire coriace qu’elles connaissent bien : en préparation, elles s’étaient inclinées une première fois avant de prendre leur revanche. Dès l’entre-deux, la rencontre est un bras de fer. Les deux équipes se rendent coup pour coup et ne parviennent pas à creuser l’écart. Portées par une Émilie Gomis en feu, les Bleues font le break au retour des vestiaires. Mais les Opals réagissent aussitôt, recollant au score pour offrir un dernier quart-temps irrespirable. À quatre secondes de la fin, la France mène 64-61. Gomis se retrouve seule sous le panier pour un lay-up qui scellerait le match… mais le manque. Belinda Snell puis Isabelle Yacoubou convertissent toutes deux un lancer-franc sur deux. Alors que le score est de 65-62 pour la France, Snell hérite du ballon et, dans un geste insensé, réussit un tir du parking à 17 mètres du cercle pour arracher la prolongation. Un véritable coup de massue.
Mais dans l’adversité, les Bleues font preuve d’une résilience exceptionnelle. Privée de ses stars Lauren Jackson et Liz Cambage, sorties pour cinq fautes, l’Australie subit la loi des Tricolores sur la ligne des lancers-francs. Avec sang-froid, les Françaises s’imposent au bout du suspense face aux vice-championnes olympiques en titre. Une victoire éclatante qui, telle une rampe de lancement, leur assure la première place de la poule si elles confirment par la suite. Un atout majeur, synonyme d’un quart de finale abordable et, surtout, de la perspective d’affronter les États-Unis uniquement en finale, avec à la clé une médaille d’une autre couleur…
- La confirmation contre le Canada
Euphoriques après cet exploit face à l’Australie, les Françaises doivent rapidement se re-concentrer car la prochaine échéance arrive à pas de géants. En effet, le lendemain matin à 9 h, un autre défi les attend face au Canada, une équipe déjà battue en préparation à Roanne et au TQO d’Ankara. Après les efforts de la veille, les Bleues peinent à tirer leur épingle du jeu. Dans la douleur, elles s’imposent finalement 64-60 et enchaînent une troisième victoire consécutive.
- Dumerc en mission contre la Grande-Bretagne
Pour leur quatrième match, les Tricolores affrontent la Grande-Bretagne. Outre-Manche, si le basket n’est pas très populaire, les Britanniques évoluent devant leur public et n’ont plus rien à perdre, leur qualification pour les quarts étant déjà hors de portée. Autant d’éléments qui font de cette équipe un adversaire dangereux ; d’autant plus que la France reste sur une défaite contre elles en préparation à Sheffield. Le match est physique, Yacoubou et Gruda dominent la raquette, tandis que les Britanniques s’en remettent à leurs arrières, Jo Leedham et Stafford. Les Bleues peinent à se détacher et, à dix secondes du buzzer, elles sont menées de trois points. C’est alors que Céline Dumerc sort un numéro d’anthologie. Après un coast-to-coast, elle dégaine un tir à trois points puis fait ficelle. La capitaine tricolore arrache la prolongation d’un exploit venu d’ailleurs. L’égalité persiste après cinq minutes supplémentaires. Sur un air de déjà-vu, Dumerc, en état de grâce, récidive avec un nouveau tir primé décisif. La France l’emporte au bout du suspens : les Braqueuses ont encore frappé !
- Un sans-faute pour la phase de groupe
Le dernier match de poules contre la Russie se déroule sans frayeur. Les filles de Pierre Vincent déroulent, le banc est mis à contribution. Après quinze minutes de jeu, neuf joueuses ont débloqué leur compteur. Si les Russes semblaient avoir calculé leur coup pour pouvoir tomber contre la Turquie pour les quarts, cette victoire est synonyme d’invincibilité et met la France dans les meilleures dispositions pour affronter la République Tchèque en quarts de finale.
UN NOUVEAU HOLD-UP POUR NOS BRAQUEUSES
Invaincues en phase de groupes, les Bleues vont donc affronter les vice-championnes du monde 2010. Pour la deuxième fois de leur histoire, les Bleues vont disputer un quart de finale d’un tournoi olympique, avec une occasion en or d’écrire une nouvelle page du basket français. Si l’entame du match est réussie, au retour des vestiaires le scénario bascule. Les Tchèques retrouvent de l’adresse et enchaînent les tirs à longue distance. Très vite, l’écart se creuse. À deux minutes de la fin du troisième quart-temps, les Bleues sont menées de treize points. Depuis le début du tournoi, la capitaine tricolore est impériale. Mais ce soir-là, elle se transcende. Portant l’équipe sur ses épaules, elle fait taire les doutes qui l’avaient tourmentée lors de l’Euro 2011 et prend le match à son compte. À ses côtés, Endy Miyem, ou plutôt devrait-on dire « Magic Endy », la benjamine du groupe, se révèle. Décalée dans l’aile, elle fait parler toute sa palette offensive, alternant pénétrations et tirs à mi-distance pour inscrire 8 points cruciaux dans le money-time. Au terme d’un irrespirable come-back, incontestablement devenu leur signature, les Braqueuses accèdent pour la première fois de l’histoire du basket français à une demi-finale olympique. Face à la Russie, les Bleues réciteront leur meilleur basket. Jamais réellement inquiétées, elles dominent tout le match. Une véritable démonstration qui leur ouvre en grand les portes de la finale olympique et leur assure, quoi qu’il arrive, de repartir avec une breloque autour du cou.
UN REVE EVEILLE FACE A TEAM USA
Seul un obstacle semble insurmontable : Team USA, le rouleau-compresseur du basket féminin mondial. Invaincues aux Jeux olympiques depuis 1996, les Américaines sont dans une autre dimension. Elles ne leur laissent pas le droit à l’erreur. Les Bleues se font définitivement assommer au début de la seconde mi-temps. La marche est trop haute et les Bleues finissent par s’incliner largement en finale (50-86). Si les Bleues n’ont pas joué leur meilleur basket, l’essentiel est ailleurs. En décrochant l’argent, les Tricolores n’ont pas raté leur rendez-vous avec l’histoire et ont écrit l’une des plus belles pages de ce sport.
L’HERITAGE DES BRAQUEUSES
Ces Jeux de Londres, diffusés en direct, qui plus est sur le même fuseau horaire que la France, ont offert une exposition médiatique sans précédent au basket féminin, longtemps resté dans l’ombre de la Team Parker. En décrochant l’argent, les Braqueuses ont propulsé leur discipline sur le devant de la scène, générant un engouement bien au-delà de la planète basket. L’impact ne s’est pas limité à la seule échéance olympique : un véritable avant/après JO s’est fait ressentir. Pour Endy Miyem : « ça a vraiment mis un énorme coup de projecteur. Là, on avait la preuve que les gens nous avaient suivies : il y avait des amateurs de basket, bien sûr, mais aussi des personnes qui, à la base, ne s’y intéressaient pas particulièrement. Les Jeux Olympiques, c’est un événement qui touche énormément de monde, et là, on dépassait clairement le microcosme du basket. On le sentait : les salles étaient plus remplies, il y avait des jeunes avec des posters qui nous demandaient des autographes… On percevait ce petit quelque chose en plus, cette envie des gens de nous féliciter, voire de nous remercier. ». En effet, de l’accueil triomphal à Gare du Nord aux gymnases de Ligue féminine plus remplis, en passant par le bain de foule lors de la descente sur les Champs-Élysées, leur exploit a impulsé un emballement durable pour ce sport.
L’histoire des Braqueuses est donc celle d’une équipe débarquant à Londres avec des étoiles plein les yeux. Transcendées par la magie des Jeux où, dès la cérémonie d’ouverture, une émulation collective s’est fait ressentir au sein de cette grande famille que représentaient tous les athlètes tricolores. Pour Emmeline Ndongue, « ce moment où on rentre dans le stade et on chante tous ensemble la Marseillaise, vraiment ça n’a pas de prix. Je me revois presque flotter sur ce moment-là, car c’est un peu comme si on était qu’un pour représenter la France. » Cette effervescence s’est prolongée au village olympique, où chacun vibrait au rythme des exploits des autres, puisant dans cette énergie une source de motivation inestimable. Match après match, elles ont avancé avec insouciance, portées par une force collective et une double exigence : prendre du plaisir tout en donnant le meilleur d’elles-mêmes. Londres 2012 restera à jamais l’été où le basket féminin français a changé de dimension. Côté tribunes, elles nous auront fait passer par toutes les émotions. Et s’il fallait avoir le cœur bien accroché, une chose est sûre nous ne pouvons que les remercier.
L’effectif des Braqueuses à Londres 2012 :
| – 4 – Isabelle Yacoubou |
| – 5 – Endéné Miyem |
| – 6 – Clémence Beikes |
| – 7 – Sandrine Gruda |
| – 8 – Edwige Lawson-Wade |
| – 9 – Céline Dumerc |
| – 10 – Florence Lepron |
| – 11 – Émilie Gomis |
| – 12 – Marion Laborde |
| – 13 – Élodie Godin |
| – 14 – Emmeline NDongue |
| – 15 – Jennifer Digbeu |
| Entraîneur : |
| – Pierre Vincent |
| Entraîneurs-adjoints : |
| – Valérie Garnier |
| – François Brisson |
| – Thierry Moullec |


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