Coupe des Champions 1964-65, les 99 points de Radivoj Korac
Europe
La barre symbolique, si ce n’est le fantasme, des 100 points marqués par un seul et même joueur le temps d’une rencontre, a fait son bout de chemin dans l’imaginaire collectif des passionnés de balle orange. Un rêve devenu réalité lorsque Wilt Chamberlain atteint ce nombre rond le 2 mars 1962 avec le maillot des Philadelphia Warriors contre les Knicks. Sur le vieux continent, dans la plus prestigieuse des compétitions européennes, un homme s’en rapproche plus que jamais en 1965, échouant à seulement une petite unité du « Stilt » : Radivoj Korac. Une performance qui, ajoutée à sa disparition tragique, a façonné sa légende.
UN SOLDAT HUMBLE, ENTRE REBONDS ET « GRANNY-STYLE »
Tout d’abord, Radivoj Korac était loin d’être un illustre inconnu en 1965. Né en 1938 à Sombor, en actuelle Serbie, Korac est un athlète yougoslave humble et réservé. S’il se tourne rapidement vers le basketball, sport alors populaire en Europe de l’Est, il est également doué au saut en longueur et est un grand amateur d’échecs, de théâtre et d’opéra. Il n’hésite pas à voyager ; ainsi, il découvre les Beatles à Londres, mais surtout est témoin aux Jeux Olympiques de Rome des performances des Américains Oscar Robertson et Jerry West, qui l’inspirent. Sur un terrain, sa petite taille pour un ailier fort est compensée par un corps très athlétique. Son attitude de faux-lent lui permet de prendre des vitesse ses adversaires directs. Radivoj Korac est un véritable spécialiste du rebond, savant parfaitement utiliser sa détente et sa main gauche pour terminer les actions.
99 POINTS
Champions de Yougoslavie 1964, Korac et son club de Belgrade se qualifient ainsi pour la coupe des clubs champions 1965. L’OKK Beograd entre dans la compétition au stade des huitièmes de finale, face au champion de Suède, le KK Alvik. Lors du match aller, disputé à Stockholm le 6 janvier 1965, les Yougoslaves se sont logiquement imposés 136 à 90. Maillot numéro 5 sur les épaules, Korac marque la rencontre de son empreinte en inscrivant 71 points, une performance déjà remarquable. La manche retour a donc lieu à Belgrade le 14 janvier. Problème pour les Suédois : le trajet Stockholm-Belgrade nécessite deux jours entiers de train. Sachant que tous ne peuvent pas se permettre un tel voyage, le club étant amateur, seuls sept joueurs font le déplacement en plus de l’entraîneur Rolf Nygren, qui prend soin de se noter sur la feuille de match au cas où.
Le jour du match arrivé, 3 000 supporters prennent place dans la salle de foire de Belgrade, prêts à encourager leur équipe qui semble se diriger vers un carton plein. Dès le premier quart-temps, Radivoj Korac plante 34 points, un nombre déjà supérieur aux points des joueurs Suédois additionnés à ce stade, dont 11 inscrits en trois minutes (entre la 18e et la 20e). Tout au long du match, l’ailier fort va au contact des deux plus grands joueurs d’Alvik, Jorgen Hansson et Orjan Sviden, complètement démunis face à l’activité du rouquin Yougoslave et incapables de limiter son impact offensif et sa main-mise sur les rebonds. Quand on jette un œil au compte-rendu du match, on remarque que le compteur de point de Korac montrait 82 points à 5 minutes du terme, puis 90 avec encore deux minutes au tableau d’affichage. Fin du match : 155 à 57 pour les locaux, soit 98 points d’écart. Les joueurs d’Alvik, réduits à quatre après plusieurs expulsions, repartent avec les valises bien pleines. Du côté de Belgrade, les joueurs se congratulent, l’entraîneur Stankovic félicite ses troupes. Puis viens la nouvelle : Radivok Korac a inscrit 99 points dans la rencontre. Si la nouvelle a tardé à parvenir aux oreilles des intéressés, c’est parce que les scorekeepers, prenant des notes sur les paniers au fur et à mesure, ne se sont mis à compter les points du meilleur marqueur yougoslave qu’à la fin du match. 99 points.
Stankovic regrette de ne pas avoir eu l’information plus tôt, comme il le dit : « C’est dommage, parce qu’il avait les moyens d’en mettre bien plus et il aurait suffi d’un panier pour qu’il batte le record des 100 points de Wilt Chamberlain » (NDLR : Chamberlain avait en réalité scoré 102 points lors de son match record de 1962). Korac quant à lui, comme à son habitude, ne s’en formalise pas. Sa première réaction est de remercier ses coéquipiers, sans montrer une seule once de déception d’échouer si prêt de la marque symbolique. Certes, le niveau d’Alvik était bien en dessous des standards des joueurs de Belgrade, comme le montre le fait que malgré les 99 points de Korac, son lieutenant Miodrag Nikolic s’est permis de scorer 32 points, quand il ne cherchait pas à faire la passe à son coéquipier inarrêtable. Mais la performance ne peut pas être seulement réduite à ça. Radivoj Korac a tout simplement réalisé une des plus grandes performances individuelles de la jeune histoire de la compétition européenne. Anders Gronlund, le meneur d’Alvik, le résume ainsi : « Vous faites parti de l’histoire. Bien sûr, cela aurait été mieux d’être la personne qui a inscrit 99 points ».
UNE CAMPAGNE EUROPÉENNE QUI SE POURSUIT
Avec ce record exceptionnel dorénavant en poche, Korac se relance directement dans sa quête de remporter la coupe des clubs champions avec les siens. L’OKK Beograd affronte en quarts de finale l’AEK Athènes. Le match aller, joué à Athènes, se solde par une défaite de sept points, 85-78. Ce léger retard est largement comblé au retour à Belgrade, par une victoire 101 à 84. Korac inscris respectivement 37 puis 42 points lors de ces deux matchs. En demi-finale, c’est le Real Madrid, champion en titre, qui se présente aux Yougoslaves. La première manche tourne en faveur des Madrilènes, qui s’imposent 84 à 61 sur leur parquet. Korac ne marque « que » 19 points. Au retour, les joueurs de Stankovic donnent le tout pour le tout, tentant de renverser l’écart accumulé. Portés par un Radivoj Korac à nouveau transcendé, auteur de pas moins de 60 points, l’OKK Beograd s’impose 113 à 96, mais ce n’est tout de même pas suffisant.
UNE MORT TRAGIQUE ET UNE PLUIE D’HOMMAGES
Quelques années après ce match, et cette saison, qui ont marqués l’histoire du basketball européen, Korac a quitté Belgrade pour Liège puis l’Italie. Il continue de faire parler de lui par ses performances, comme lorsqu’il inscrit 100 lancers francs sur un plateau télé belge, ou quand il permet aux siens de remporter la médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Mexico 1968. Mais le 2 juin 1969, alors qu’il roule entre Sarajevo et Belgrade pour rentrer chez lui après un match d’exhibition avec son équipe nationale, il est victime d’un accident de la route à l’âge de 30 ans, percuté par un camion. Les hommages se succèdent très rapidement. Premier athlète à être enterré dans le cimetière des « Citoyens distingués » de Belgrade, la Fédération de basketball yougoslave décide que plus jamais un match de basket ne sera joué un 2 juin. Plusieurs équipes ou rues sont renommés en sa mémoire, et même une compétition européenne. Se tenant entre 1972 et 2002, la Coupe Korac constitue le troisième niveau européen. Radivoj Korac fait partie de la première classe de joueurs à rejoindre le Basketball Hall of Fame de la FIBA en 2007, ses performances ne pouvant pas être oubliées.
Radivoj Korac, un des plus grands joueurs de l’histoire du basketball européen, ne sera pas passé loin d’atteindre la mythique barre des 100 points, n’échouant qu’à une unité. Sa carrière, prématurément arrêtée, aura été celle d’un athlète extrêmement prolifique. Sa mémoire est entretenue à travers le Vieux Continent. Joueur du KK Zadar, Zdenko Babic marque en 1985 pas moins de 144 points face à l’APOEL Cyprus pour qualifier son club au tour suivant d’une coupe européenne : la Radivoj Korac Cup, comme un hommage.


Laisser un commentaire