[Long format] Les coachs en Bleu – Partie 1 : 1947-1975
Equipe de France
Frédéric Fauthoux vient d’être nommé coach des Bleus. Il est le quinzième à occuper cette fonction depuis 1947, date à laquelle elle a été confiée à un seul homme responsable des bons et mauvais résultats. Mais quel est le bilan de ses quatorze prédécesseurs ? Quelle trace ont-ils laissée dans l’histoire du basket français ?
Dans le bordel ambiant de la Libération, le basketball national n’échappe pas à l’inorganisation, la rivalité de clans et la main-mise sur un sport laissé en jachère durant quatre ans. « Anciens » et « modernes » s’affrontent sur les modèles à suivre pour développer le jeu et les structures.
Au Championnat d’Europe 1946 la France finit 4e d’une compétition à dix dont elle était favorite. Cet échec enterre une organisation du staff à l’ancienne. Robert Busnel est l’entraîneur officiel, Lesmayoux, Roland et Frezot ses assistants. Problème : les quatre sont également joueurs. Busnel n’a d’ailleurs pas choisi les membres de son équipe. Même l’omniprésent sélectionneur manager Paul Geist n’a pas véritablement d’emprise sur la sélection, jouet des « dirigeants ». « Les sélections pour les matchs voir les changements sont effectués à l’instigation des dirigeants » lit-on dans l’Équipe du 7 mai 1946. La décision est prise de confier les pleins pouvoirs à un seul technicien. Et le choix se porte sur l’Américano-lituanien Michael Ruzgis
1947 – MICHAEL RUZGIS
Champion d’Europe avec la Lituanie en tant que joueur en 1939, ce natif de Chicago a tapé dans l’œil de la Fédération française mais la guerre a brutalement mit fin à toute idée de collaboration. Après avoir combattu dans les rangs de l’US Army, il est embauché comme joueur-entraineur par le Stade Français où ses méthodes séduisent. Avec comme interprète Wladimir Fabrikant, co-auteur avec son frère Michel du premier manuel technique français « Le basketball moderne », Il prend en main la sélection nationale en juillet 1946 lors d’un stage qui fera date et servira de référence durant de longues années.
Une cinquième place rageante au Championnat d’Europe de Prague en 1947, (une erreur de la table de marque coûte une victoire contre la Belgique), mais qui n’entame pas la confiance de la Fédération, qui lui maintient sa confiance. Après une victoire lors d’un match amical contre l’Égypte, il quitte sans se justifier un stage préparatoire à un France-Belgique en août 1947, mettant ainsi fin à sa mission.

1947 / 1956 – ROBERT BUSNEL
Ruzgis parti, c’est au joueur Robert Busnel, 33 ans, qu’est confiée l’équipe de France. Dans la continuité de son prédécesseur, il innove, corrige, rajeunit l’effectif et surtout séduit journalistes, joueurs et dirigeants. Interdit de jouer aux JO de Londres pour cause d’enfreinte à l’amateurisme (il gère sa propre marque de ballons et chaussures), l’entraineur-sélectionneur-manager, mais pas joueur, se fait remarquer sur le banc de touche en assumant pleinement sa fonction de coach. Récompensé d’une médaille d’argent, le parcours olympique valide la méthode Busnel. Il s’imposera comme la figure marquante du basket français des années cinquante. Après le Championnat d’Europe 1949, il ne s’auto-sélectionne plus. Mais les bons résultats s’enchaînent et l’homme-orchestre Busnel profite pleinement de cet âge d’or. Scolaires et universitaires s’entichent du basket et les salles ne désemplissent pas. Essayiste, théoricien, polémiste et même équipementier des EdF, le coach des Bleus est partout à la fois mais son équipe semble être la seule en Europe de « l’Ouest » à pouvoir freiner l’hégémonie naissante des sélections de « l’Est ». Cependant, la décevante 8e place obtenue aux JO 1952 fait apparaître une opposition qui remet en cause la méthode Busnel. Préparation individuelle sans surveillance, une tournée en Afrique du Nord inutile et le manque de vrais assistants sont mis en avant par des opposants renvoyés au statut de jaloux. Les années suivantes sont plus difficiles pour « Bus », malgré une médaille de bronze au Mondial 1954 sans équipe de l’Est. Mais elles sont bien présentes à Budapest l’année suivante à l’Euro 1955 pour vampiriser le top 10 en ne laissant que la 9e place aux Français. Le manque de préparation, l’absence de cadres, (Haudegand, Antoine), matchs en extérieur… La culture de l’excuse se met en place. Elle perdura durant de longues années. Mais le mal est plus profond. Ses assistants Emile Frezot et Jacques Personne agacés par son fonctionnement autocrate le laissent tomber à quelques jours des JO de Melbourne en 1956.
En Australie, Busnel dispose d’un très bel effectif qui restera pour longtemps la « plus belle équipe de France de tous les temps » : Robert Monclar, Jean-Paul Beugnot, Roger Antoine, Henri Rey, Schlupp… et deux jeunes pleins d’avenir, Christian Baltzer, 20 ans, et Henri Grange 21 ans. Les Bleus réussissent l’exploit de battre l’URSS et les rudes Uruguayens en poule, mais tombent contre ces deux mêmes équipes en phase finale. Ils pouvaient rêver d’argent, ils se contentent du chocolat. Vient en premier lieu l’excuse « officielle » du manque de coffre et de la fatigue de fin de tournoi. Au rayon des excuses à resservir à l’avenir, celle-ci aura beaucoup de succès. Certains joueurs accusent Busnel de les avoir laissés tomber après une 4e place assurée qui lui permet d’affronter la tête haute ses dirigeants.
Après une dernière victoire de prestige 73-71 après prolongation en match amical face à la Tchécoslovaquie qui restait sur 5 victoires consécutives depuis l’Euro 1947, il fait ses adieux devant les 10 000 spectateurs du Palais des Sports de Paris et les caméras de la Radio Télédiffusion Française, (retransmission amputée des prolongations. On n’allait quand même pas faire attendre Jean Nohain ou Pierre Sabbagh). Robert Busnel peut partir fier de son bilan et laisser la place à celui qui a été son frère d’arme, André Buffière.

1957 / 1964 – ANDRE BUFFIERE
Joueur international de 1946 à 1955 André Buffière se rode au métier de coach sur le banc du SA Lyon quand son vieux compagnon Busnel vient le chercher pour assurer la direction technique à la FFBB et au dressage des jeunes troupes du Bataillon de Joinville. L’épreuve du feu, il la subit dans la fournaise de Sofia lors d’un Championnat d’Europe 1957 où le basket de l’Est lamine les rivaux occidentaux. Officiellement entraîneur-adjoint sous les ordres de Bus’, il dirige de fait l’équipe sous l’œil de son comparse qui n’est là qu’en observateur. Privé de Beugnot et Haudegand, il compte sur les 2,18 m de Jean-Claude Lefebvre pour s’opposer aux golgoths soviétiques. Trop tendre, encore mal dégrossi, le jeune géant ne peut empêcher une déroute, 83-53, face à l’URSS. Sur dix matchs, les Français n’en remportent que deux, la RFA et l’Italie. Les huit autres sont des défaites contre huit nations de l’Est. La septième place, (première occidentale), pose question sur l’inconstance des Bleus.
Après une préparation où les Bleus ont pu bénéficier des bons conseils de Red Auerbach et Bob Cousy en visite, l’Euro stambouliote de 1959 rassure. Une belle médaille de bronze récompense une équipe dans laquelle se sont distingués deux jeunes plein d’avenir, Maxime Dorigo, 23 ans, et Michel Rat, 22 ans.
Pas de Celtics en goguette pour aider à préparer les JO de Rome 1960, mais trois misérables matchs seulement, un contre une faible sélection de Guadeloupe et deux contre le team guère vaillant de la base américaine d’Evreux. Sous la canicule romaine, les Bleus finissent au pied du podium. Mais la France sportive leur pardonne, ils ont été courageux et se sont battus et rien que cela est suffisant pour éviter l’opprobre qui se déverse sur la délégation française et son bilan désastreux, deux médailles d’argent et trois de bronze. 25e au tableau des médailles, ce qui provoque la colère du Général nouvellement élu. Un vaste plan de réformes pour développer le sport de haut niveau est mis en place, mais il faudra des années avant qu’on en récolte les fruits. En attendant, les heures sombres du sport français sonnent leurs premiers coups et le basket ne sera pas épargné.
La cinquième place obtenue au Mondial 63 à Rio fait figure de chant du cygne du basket tricolore. Mais cette année de Mondial est aussi celle d’un Euro en octobre à Wroclaw et c’est un désastre. 13e, même la RDA nous marche dessus. Buffière ne sait que faire de J.C. Lefebvre « Incapable de lever les bras et dominé dès qu’il est face à un pivot de 2m qui bouge et qui saute. » Il trouve juste un peu de satisfaction dans les prestations de Michel Rat, Jean Degros et du prometteur Alain Gilles. Les carences athlétiques et d’endurance sont flagrantes. Busnel se demande même si c’était vraiment utile d’envoyer une équipe en Pologne. Car 1964 est une année Olympique et avant de rêver de Tokyo, il faut se qualifier au tournoi de Genève où seuls les deux premiers obtiennent un ticket pour le Japon. Les Bleus finissent 3e. Pour la première fois depuis l’introduction du basketball aux JO, la France n’en est pas.
Robert Busnel qui a pris depuis quelque temps ses distances avec Buffière, surtout en cas de mauvais résultats, est directement mis en cause par le collectif des internationaux dans une lettre ouverte : « Nous reprochons à monsieur Busnel de prendre sa part de lauriers en cas de bons résultats et de prendre en cas de défaites une attitude pour le moins étonnante chez un homme qui, en fait, est responsable technique du basket français. Il est pénible pour nous les joueurs, déçus par la défaite, de supporter ce visage ironique qui n’a même pas la pudeur de dissimuler sa satisfaction. » Busnel convoque alors le comité directeur à une réunion et annonce sa démission. La réunion tenue le 7 novembre devient donc un conclave durant lequel il faut désigner un nouveau directeur technique national. Personne ne semble vraiment motivé par la fonction. Quand Bus’ fait son apparition pour demander qui a été choisi. A la stupeur générale celui qui a en charge l’équipe de France espoirs, Joë Jaunay, se désigne lui-même. Il n’avait averti personne. Surpris, André Buffière ne conteste pas et se dit prêt à collaborer. Ce qu’il fera quelques semaines avant de se dire fatigué par tout ce cirque et retourner au SA Lyon.

1965 / 1975 – JOE JAUNAY
C’est avec une équipe très jeune, 21 ans de moyenne d’âge, que le « putschiste » se rend à Moscou pour l’Euro 1965. Mais plus que l’âge ce sont le manque de taille et d’adresse qui pénalisent les Bleus qui sont à leur place avec une 9e place. En fin d’année, une tournée aux USA, mal préparée, contre des équipes de bric et de broc permet à Jaunay de faire des expériences, un système à trois pivots par exemple, mais le manque de jeu rapide met en rage Alain Gilles qui en fait part à la presse. En 1966, année sans compétition officielle, le sélectionneur s’offre une double casquette en prenant en charge l’équipe féminine. La 6e place est l’objectif de l’Euro 67 en Finlande. Il faut se contenter de la 11e et d’une terrible rouste contre l’URSS devant les caméras de l’ORTF, 108 / 52. Jamais qualifiés pour les JO et les Championnats du monde durant son long mandat, nous devons nous contenter de piteuses 10e place successives aux Euro 71 et 73, (pas qualifié en 1969 et 1975).
Même s’il n’est pas le seul responsable de ces déroutes, Joë Jaunay incarne la faillite d’un système. Auto-centré, Jaunay estime qu’il n’a de leçons à recevoir de personne et qu’il n’y a rien à apprendre de modèles étrangers qu’ils soient américains ou européens. Il n’est pas aidé non plus par le retour aux affaires d’un Robert Busnel revanchard mais dépassé par son époque et souvent incohérent dans ses actes et ses discours.
Amateurisme, manque de taille et de capacités athlétiques, mauvaise gestion des préparations, états d’âme des joueurs, l’arrivée dans notre championnat d’Américains « qui prennent la place de nos champions en clubs »… Entre critiques et excuses, le basket français voit passer devant lui Grecs, Italiens, Espagnols et Israéliens et regardent Soviétiques et Yougoslaves se partager la plus haute marche du podium. Nos joueurs grommellent et se font tirer l’oreille pour venir en sélection. Les relations de certains (Gilles, Staelens, Boistol et Laurent Dorigo) avec le coach sont glaciales. Gilles ne répond plus à l’appel du Coq depuis le fiasco de l’Euro 1971. Il revient en 1975 pour le tournoi de qualification à l’Euro. Mais le retour du prodige n’empêche pas un échec cuisant. Celui de trop pour un coach devenu indésirable.
Depuis 1970, Joë Jaunay s’est ajoutée une troisième casquette sur la tête en devenant coach des filles de Clermont. Avec elles il connaît la satisfaction des titres et des grosses performances. Avec les Bleues, il ramène même l’argent de l’Euro 1970. C’est chez les filles que Joë Jaunay trouve de la reconnaissance. Chez les garçons, il reste le coach des « années sombres ».

1974 – JACQUES FIEVÉ
Un petit tour et puis s’en va. Convoqué pour un intérim sur le banc lors d’une « Coupe des Nations » que l’on dispute suite au forfait de l’Espagne. Jacques Fievé fait front lors de dix matchs seulement. Dix matchs pour huit défaites. Sans les frondeurs anti-Jaunay, sans les Berckois pourtant dominateurs en championnat de France, cette série de matchs est surtout marquée par l’apparition en bleu d’une jeune pépite de 16 ans et demi, Hervé Dubuisson.
On y reprendra plus ce pauvre Jacques Fievé qui considère avoir « été envoyé à la boucherie ».




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