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Isabelle Yacoubou : itinéraire d’une joueuse hors normes

Portrait

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Retro

Le 28 février 2024, une page de l’histoire du basket français s’est tournée avec le départ à la retraite d’Isabelle Yacoubou. De championne d’athlétisme junior à joueuse professionnelle de basketball, celle que l’on surnomma « Shaqoubou » (en référence à Shaquille O’Neal) a su s’imposer sur tous les continents. L’occasion de rendre hommage à cette géante du basket tricolore.

UNE ENFANCE AU BENIN ET SES DEBUTS EN FRANCE

Isabelle Yacoubou voit le jour le 21 avril 1986 à Godomey dans la banlieue de Cotonou au Bénin. Cadette d’une fratrie de quatre enfants, son père est ingénieur et sa mère institutrice. Dès son jeune âge, la jeune Isabelle est attirée par le sport. Si sa grande taille peut être un inconvénient dans la vie quotidienne, celle-ci se transforme en un atout important pour le sport. Son physique aux dimensions colossales lui confère ainsi une propension naturelle aux performances sportives. Au collège, elle jongle avec deux principaux sports : l’athlétisme et le basketball. À ses 11 ans, elle intègre l’équipe nationale d’athlétisme. Si elle y pratique le saut en longueur et le triple saut, c’est pour le lancer de poids qu’elle se passionne. Elle parvient notamment à se qualifier pour les championnats du monde de 2003 à Sherbrooke au Canada ; une première pour une athlète béninoise. Mais son rêve est de devenir basketteuse professionnelle. La première personne à croire en elle et à la soutenir dans son objectif est son père qu’elle perdra à l’âge de 14 ans. Une perte qui la marquera durablement et qui ne fera que renforcer sa détermination et sa résilience.

Une opportunité se présente à elle la même année. Le nouveau coach du Tarbes Gespe Bigorre (TGB), Pascal Pisan, a reçu une vidéo d’elle envoyée par un responsable de centre de formation de handball de passage au Bénin et souhaite alors lui proposer un contrat d’une année. À 17 ans, la jeune béninoise débarque en France. Bien qu’il lui soit difficile de s’acclimater à son nouveau mode de vie, entre éloignement familial et intensité des entraînements, sa saison est suffisamment satisfaisante pour que son contrat soit prolongé.

En 2005, elle signe son premier contrat professionnel avec le TGB. Sous la tutelle de Pascal Pisan puis de François Gomez, elle prend de l’expérience. Montant progressivement en puissance, la formation du sud-ouest de la France perd la finale face au Tango de Céline Dumerc et Cathy Melain en 2009. Cette même saison, l’athlète enregistre un double-double de moyenne en saison régulière et, de fait, est logiquement élue MVP. Elle reste dans les Hautes-Pyrénées jusqu’en 2010, année où elle remporte le championnat de France, mettant ainsi un terme au duopole de 16 ans exercé par Bourges et Valenciennes-Orchies sur la ligue française. Autrice d’un premier match contre le Tango exceptionnel avec 22 points marqués à Bourges dans une ambiance hostile, Yacoubou est au rendez-vous lors du second match, malgré une rupture de l’aponévrose intervenue juste avant la fin de la première mi-temps, participant ainsi au premier titre (et encore aujourd’hui le seul) du TGB en Ligue féminine.

© TGB Basket

SUR LES PARQUETS DU MONDE ENTIER AU SEIN DES PLUS GRANDS CLUBS

Arrivant au terme de son contrat, devenue une référence européenne à son poste, son téléphone se met naturellement à sonner. C’est l’écurie italienne située en Vénétie, la Familia Schio Basket, qu’elle décide finalement de rejoindre. Différentes variables ont motivé son choix : la réputation conviviale et familiale du club, son souhait de goûter au graal européen, l’Euroligue, puis sa soif de découvrir de nouvelles cultures. Pour sa première saison sous le maillot orange, elle gagne le championnat italien et la coupe d’Italie. À la fin de cette saison en terre transalpine, la coach de Ros Casares, Natália Hejková, souhaite la voir intégrer son effectif. Le but de cette équipe est sans ambiguïté : décrocher l’Euroligue. Pour se faire, le club valencian se donne les moyens de ses ambitions en accueillant dans ses rangs des stars européennes du ballon orange. Objectif réussi puisqu’aucun trophée ne résiste à cette dream team que ce soit le championnat d’Espagne mais surtout l’Euroligue. C’est la première et unique fois que la Française atteindra le sommet européen.

Un constat ? Partout où la joueuse passe, une pluie de trophées suit. Son périple européen se poursuit au Spartak Moscou. Bien que dans sa vie professionnelle tous les feux sont au vert, avec des conditions de travail marquées par l’opulence et le luxe (loft, chauffeur, traducteur etc.) ; côté personnel il lui est plus difficile de s’intégrer à la société russe qui contraste avec les pays méditerranéens qu’elle avait alors connus. Par conséquent, au bout de la première année, elle écourte son contrat et s’exporte du côté de la Turquie au Fenerbahçe, sérieux contender au titre. Là-bas, elle y découvre une atmosphère cosmopolite qui la ravit. Ses choix de carrière sont marqués par une quête constante d’équilibre entre épanouissement sur les courts d’une part et appétence pour le voyage et les cultures étrangères d’autre part.

Globetrotteuse dans l’âme, elle signe pour rejoindre l’équipe chinoise du Heilongjiang Chenneng pour la saison 2015-2016. Inspiré de la WNBA, le championnat chinois se déroule sur cinq mois. Là-bas, elle se heurte à une culture différente, ne serait-ce que dans la pratique du basket : c’est 8h d’entraînement quotidien. Véritable « caméléon », la géante française fait tomber les barrières et noue des amitiés avec ses coéquipières chinoises. La saison se passe bien et l’équipe se qualifie pour les playoffs. Une épopée qui va néanmoins vite prendre fin. En playoffs, son club tombe face à l’équipe militaire de Bayi. À 0,6 secondes de la fin, son équipe mène au score. L’adversaire a la possession. Leur pivot reçoit la balle et marque. Un panier accordé par l’arbitrage alors qu’il ne restait que 0,6 secondes à jouer. Les joueuses du Heilongjiang Chenneng contestent la décision arbitrale et refuse de jouer les prolongations. Conséquence ? Décision fut prise par les autorités d’exclure l’équipe du championnat et d’envoyer les joueuses chinoises dans des camps militaires pour qu’elles y apprennent la discipline et l’obéissance.

© L’Équipe

Après des adieux déchirants avec ses anciennes coéquipières, Yacoubou n’a d’autre choix que de rentrer en Europe. Elle y rejoint Schio pour un second passage, au cours duquel elle retrouve Pierre Vincent et remporte d’autres titres, continuant ainsi à enrichir son palmarès. Alors âgée de 32 ans, sa saison 2017-2018 fut particulièrement fructueuse : championne d’Italie, vainqueur de la coupe d’Italie, MVP de la coupe d’Italie et du championnat italien. En dépit de pépins physiques récurrents, notamment au genou, les performances sont toujours au rendez-vous. Elle revient en France, où elle reste 3 ans sous les couleurs du Tango Bourges avant de rejoindre son club de cœur, le TGB.

SOUS LES TRESSES TRICOLORES : L’ASCENSION D’UNE ICONE DU BASKET FRANCAIS

En parallèle, Isabelle s’illustre également sous le maillot tricolore. Naturalisée en 2006 à l’initiative de Jean-Pierre Siutat, alors président du Tarbes Gespe Bigorre, elle accède à la sélection nationale dès sa troisième année de cadettes. Peu de temps après sa naturalisation, elle rejoint l’équipe de France pour l’Euro U20 à Sopron, en Hongrie. En dépit de ces 29 points plantés et 15 rebonds capturés en demi-finale contre les hôtes hongroises, la France rejoint l’Espagne pour la petite finale. Elle y signe un nouveau double-double (21 points et 14 rebonds), son troisième du tournoi, contribuant ainsi à la victoire de son équipe. Avec une moyenne de 16,8 points et 10,5 rebonds sur l’ensemble des huit matchs, la basketteuse se voit spontanément décerner le titre de MVP de la compétition. Très rapidement, la joueuse conquiert le cœur de l’Hexagone. Avec son look excentrique et sa joie de vie perceptible depuis les gradins, elle devient la chouchoute du public français.

© Le Berry Républicain

Ce tournoi marque le début de sa longue aventure avec l’équipe de France, qu’elle retrouve chaque été. En 2007, elle remporte une médaille de bronze au championnat du monde avec l’équipe U21 avant d’intégrer la sélection A la même année. Toutefois, cette équipe échoue à se qualifier pour les Jeux olympiques de Pékin en 2008. À la suite de cet échec, Pierre Vincent, alors coach de Bourges, prend les rênes de l’équipe nationale et amorce une transition générationnelle en donnant leur chance à de jeunes talents. La nouvelle équipe de France, composée entre autres de Sandrine Gruda, Céline Dumerc, et d’autres joueuses prometteuses, part pour le Championnat d’Europe en Lettonie avec pour objectif de terminer dans le top 5 pour se qualifier aux prochains Mondiaux. Invaincue, la jeune équipe créée la surprise en battant en finale la grande équipe russe de l’époque. Ce premier hold-up inaugure la génération des « Braqueuses » qui marquera à jamais l’histoire du basket français. À son tableau des titres gagnés avec l’Équipe de France, il faut citer la breloque argentée des Jeux olympiques de Londres en 2012. Pour leur première qualification depuis les Jeux de Sydney en 2000, les Bleues gagnent la première médaille olympique de l’histoire du sport collectif féminin français. Malgré leur défaite en finale face à l’équipe américaine, cette récompense a un goût d’or tant cet exploit est historique. Troisième meilleure marqueuse et deuxième meilleure rebondeuse de l’équipe de France lors de ces Jeux, la vice-championne olympique apporte une contribution majeure à cette campagne historique.

Elle enrichit ensuite son palmarès avec deux médailles d’argent aux EuroBasket de 2013 et 2015, où elle est également nommée dans le cinq majeur de la compétition aux côtés de Céline Dumerc. Sa carrière internationale s’achève après les Jeux olympiques de Rio en 2016, où elle porte le brassard de capitaine en l’absence de Dumerc. Avec 147 sélections au compteur, en 2018 elle est nommée « légende du basket français », une reconnaissance qui la consacre comme une figure emblématique de ce sport.

Pour la suite de sa carrière, Yacoubou a décidé de prendre le chemin du coaching. Sur un air de déjà vu, elle fait ses armes au TGB aux côtés de François Gomez, le coach le plus important de sa carrière. En parallèle, elle est consultante basket et assistante coach de l’équipe de France féminine des moins de 16 ans.

Le parcours d’Isabelle Yacoubou est celui d’une pionnière. La petite fille béninoise a su se faire une place au sommet du basket européen et est devenue un visage du basket français. Son jeu puissant, son esprit combatif et sa capacité à motiver et à fédérer ceux qui l’entourent font d’elle une joueuse inoubliable. Aujourd’hui encore, « Baby Shaq » inspire, non seulement par son palmarès gargantuesque, mais aussi par ses valeurs et son dévouement au sport.

PALMARES EN CARRIERE D’ISABELLE YACOUBOU

En club :

  • Euroleague : Vainqueur en 2012
  • Eurocup : Vainqueur en 2022
  • de France : Championne en 2010 et 2022
  • Championnat d’Italie : Championne en 2011, 2015, 2016, et 2018
  • Championnat d’Espagne : Championne en 2015
  • Coupe d’Italie : Vainqueur en 2011, 2015, 2017, et 2018

En sélection :

  • EuroBasket : Championne d’Europe en 2009
  • Jeux Olympiques : Vice-championne olympique en 2012
  • EuroBasket : Vice-championne d’Europe en 2013 et 2015
  • EuroBasket : Médaillée de bronze en 2011
  • EuroBasket U20 : Médaillée de bronze en 2006
  • Coupe du monde U21 : Médaillée de bronze en 2007

Distinctions personnelles :

  • MVP française de LFB : 2009 et 2010
  • MVP du championnat d’Italie : 2018
  • MVP de la finale de LFB : 2010
  • Cinq majeur de LFB : 2023
  • Cinq majeur de l’EuroBasket : 2013
  • MVP de la finale de la Coupe d’Italie : 2018
  • MVP de l’EuroBasket Espoirs : 2006
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About Manon Pasquier (3 Articles)
Ancienne joueuse, passionnée d'histoire et de la balle orange. Souhaite mettre en lumière le basket féminin et tricolore.

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