Red Auerbach, le caractère d’un champion
NBA
Michael Jordan, Kobe Bryant ou encore Jerry West, tous les plus grands joueurs de l’histoire ont atteint les sommets de la NBA en grande partie grâce à leur tempérament plus qu’intense. Que cela soit avec leurs coéquipiers, et surtout leurs adversaires, leur instinct de compétition n’était pas taillé dans la même roche que les autres. Leur passion dépassait l’entendement. Un homme a marqué les esprits pour être l’un des personnages les plus fous que le basket ait connu. Au point que son surnom -qui qualifiait son comportement agressif- soit plus connu que son propre nom. Red Auerbach est sans doute la personne la plus importante de la franchise la plus titrée de tous les temps.
UN PERSONNAGE UNIQUE EN SON GENRE
Né le 20 septembre 1917 à Brooklyn (New-York), Arnold Jacob Auerbach est le fruit d’un métissage Américain de sa mère et Judéo Russe de son père. Dès son plus jeune âge, il trouve sa voie dans le basket et dédie sa vie à la balle orange. C’est à la fin de son cursus lycéen que le coaching devient une révélation pour lui. Mais son caractère, il le tient depuis toujours. C’est ainsi qu’il tourne le dos à un diplôme dans le monde de la finance – obligatoire pour jouer au City College à New-York en parallèle de sa formation de coach – et se dirige vers le Seth Low College de Brooklyn. Si il n’avait pas le bagage ni les diplômes, il avait tout compris au basket. Par la suite, il fait ses gammes au poste de meneur pour l’Université de George Washington. Il gagne au passage le nickname de « Red » en raison de ses cheveux roux et de son tempérament volcanique. C’est à 24 ans qu’il raccroche les sneakers, aux portes du monde professionnel pour se lancer dans sa vraie passion, le coaching. Le reste appartient à l’histoire…
SA PERSONALITE AVEC SON EQUIPE
Évidemment, un coach malade de succès voulant à tout prix marquer l’histoire devient très paternaliste avec ses joueurs. Bien que d’une discipline quasi-militaire, il reste tout de même soucieux du bien-être de ses joueurs : comme en témoigne la fois où il a suivi la conviction de ses joueurs et boycotté un match à Lexington (Kentucky) car ses joueurs s’étaient fait refuser une table dans un restaurant la veille en raison de leur couleur de peau. A la manière d’un stratège militaire, il voulait une équipe bâtie avec des guerriers capables d’opposer un jeu très physique à leurs adversaires. Bob Cousy (MVP et sextuple champions avec les Boston Celtics) raconte :
« Au début des années 1950, on avait un mec qui était venu au camp d’entraînement et qui s’appelait Frank Mahoney. Il venait de faire deux ans dans les tranchées de la Guerre de Corée, donc on savait que c’était un dur à cuire. Au bout de dix jours d’entraînement, Frank est venu vers moi et m’a demandé ce qu’il se passait parce qu’il ne comprenait pas un truc. Bob Brannum faisait partie de l’équipe, et chaque fois que Mahoney allait vers le panier, Brannum le plaquait au sol et restait au-dessus de lui en le défiant de se relever pour se battre. Coach Auerbach ne stoppait pas l’entraînement tant qu’il n’y avait pas de sang. Personne n’est venu aider Frank, il a arrêté d’aller vers le panier, s’est fait couper du camp d’entraînements et Brannum est resté dans l’équipe » (Le plus grand livre de basketball de tous les temps selon Trashtalk).
L’entraînement ne s’arrête que s’il y a du sang, c’est bien du Red Auerbach. Si il a inspiré Brian Hill lorsqu’il coachait le Orlando Magic, qui essaya une fois (« seulement ») lors d’un entraînement sans aucune faute sifflée, en revanche c’était monnaie courante pour le gourou de Beantown. Une philosophie de jeu poussant les joueurs dans leurs retranchements. Ce qui porte ses fruits lors des matchs puisque les coups sont encaissés sans broncher. Si en effet il ne semblait pas tendre avec ses joueurs, il n’en était pas moins agressif avec ses adversaires. Non, ne vous détrompez pas, il ne donnait pas les coups dans le jeu puisqu’il était sur le banc, bien que le terrain n’ait pas manqué d’être taché de rouge quelques fois.
SON CARACTÈRE AVEC SES ADVERSAIRES
A l’image de ses entraînements d’une rudesse rarement vue, il était frappé par la même soif de vaincre que ses joueurs, mais sur le banc. Pour ce qui est du trashtalking, il était un précurseur en la matière et son imagination était sans limite. Dès qu’un match était plié d’avance, on ne le voyait plus debout au bord du terrain mais bel et bien assis jambe croisées, cigare aux lèvres enfumant le Boston Garden. Crapoter le cigare, c’était sa marque de fabrique. Fumer était à Red ce que mâcher un chewing-gum était à Michael Jordan : l’un n’allait pas sans l’autre. Rome ne s’est pas faite en un jour et comme tout empire, il a fallu gagner le respect puis devenir craint de leurs adversaires. Avec un personnage comme Auerbach, Boston n’a pas eu de difficulté à marquer la NBA de son emprunte, et ce dès les débuts de l’hégémonie Celtic. Tom Heinsohn (octuple champion NBA avec les Boston Celtics et sextuple All Star) témoigne :
« Nous jouions à St Louis pour le match 3 des Finals de 1957, quand Bill Sharman s’est approché de Red et lui a dit que le panier ne faisait pas 3m05. Bill Sharman était une personne très précise, donc s’il avançait pareille affirmation, c’est vraiment que le panier ne faisait pas 3m05. Auerbach, qui avait coaché les Tri-Cities Black Hawks, l’ancienne équipe de Ben Kerner (propriétaire des Hawks), et qui avait eu des démêlés avec lui, est allé lui parler du panier. Kerner lui a répondu qu’ils n’étaient que des amateurs, avant de s’en prendre à Red. Celui-ci s’est énervé et a frappé violemment Ben Kerner, juste avant le match. Notre coach a mis KO le propriétaire des St Louis Hawks : c’est juste ce qu’il nous fallait. Pendant le reste de la série, on nous jetait des œufs. Je n’oublierai jamais ce que j’ai vu : les fans ont touché Auerbach en plein front. Il a dû avoir mal ; cela coulait le long de son visage. » (NBA Love Story)
Mettre KO le propriétaire de l’équipe adverse en pleines Finals, on n’apprécie guère la méthode mais ça reste un bon moyen de donner le ton d’entrée de jeu : on ne rigole pas avec les Celtics. C’est ainsi qu’à débuté la rivalité entre Boston et St Louis, la première de l’histoire des Celtics en NBA.
SES ÉCHAUFFOURÉES AVEC LES SUPPORTERS ADVERSES
Le coach aux neufs bagues de champion n’était pas une tête brûlée qu’avec ses adversaires mais aussi avec… quiconque osait lui tenir tête. Dans une NBA des 50’s qui n’était pas encore médiatisée, avec des matchs qui ne passaient pas encore en antenne nationale, Maurice Podoloff (alors commissionner de la NBA) ne faisait que négocier les premiers contrats télévisés pour la Grande Ligue. Il n’y avait pas cette même pression qu’a eu David Stern quant à l’image de la NBA renvoyée par les joueurs. La sécurité était faible voire quasi-inexistante. Il y avait une certaine proximité entre les fans dans les tribunes et les joueurs sur le terrain : que cela soit dans les meilleurs moments (envahissement de terrain pour un titre de champion à domicile) comme les pires… Lorsque certains fans inconscients se sentaient pousser des ailes, un drame n’était jamais bien loin et un séjour à l’hôpital pouvait vite les faire redescendre. Alors que Cincinnati était la ville montante du basket et les fans des Royals pensait enfin faire tomber l’ogre vert, John Havlicek (octuple champion et 13 fois All Star) se remémore cette bagarre :
« Nous venions d’affronter Cincinnati en Play-offs et avions gagné un match très serré. Comme nous quittions le parquet, un fan turbulent a craché sur Red, qui a riposté en frappant le supporter, cassant alors ses lunettes. Je ne sais pas si il lui a cassé le nez, les dents, ou autre, mais l’homme a poursuivi Red en justice, qui allait donc devoir se présenter au tribunal. J’étais juste derrière lui au moment de l’incident ; il s’est retourné vers moi et m’a dit : « T’as vu ça, n’est-ce pas ? Le mec m’a craché dessus et je me suis juste défendu. » Je lui ai répondu : « ouais, peut-être bien. » Nous sommes allés au procès. Red pensait que ce serait juste une épreuve à passer, mais rien de plus. Au final, il a été contraint de rembourser les lunettes et les soins dentaires du fan et lui a offert un porte clé des Celtics et des chopes de bière. » (NBA Love Story)
Bien loin des amendes et des suspensions records du basket moderne (à l’image du triste « Malice at the Palace » où Ron Artest s’est vu suspendu 88 rencontres, ce qui le délesta de 5 millions de dollars), la NBA sous la plus grande dynastie de tous les temps a vu des sanctions qui sortent de l’ordinaire. Dans une société Américaine où les frais médicaux ne sont pas pris en charge, ce fan a pu se sentir heureux d’avoir été remboursé par Auerbach sachant que les amendes de l’époque en cas de bagarres avoisinaient quelques dizaines de dollars.
Outre toutes ces anecdotes de bagarres, Red Auerbach était un passionné, au point d’en devenir fou. Un visionnaire qui a construit de toute pièce l’équipe la plus victorieuse de tous les temps rien que par la draft (et quelques coups de génie dont lui seul a le secret). Sans ce caractère implacable, il y a très peu de chance qu’il ait pu finir coach of the year en 1965 -puis meilleur coach de tous les temps en 1980- avec 9 bagues en tant que coach et 16 au total en seulement 29 saisons. S’il a déniché les plus grandes légendes de la Maison Verte et les a fait murir par son coaching, il a surtout veillé sur les futures générations en tant que GM dans les 80’s. Tel un mentor, il a pris Larry Bird sous son aile et ce dernier reconnait aujourd’hui qu’il lui doit beaucoup sur le plan du jeu mais aussi par la suite en tant que coach et GM. Il est sans aucun doute l’acteur principal du succès des C’s. Une histoire que les fans ne sont pas près d’oublier tant il a apporté. Ce n’est pas pour rien que le numéro 2 flotte au plafond du TD Garden et que le Auerbach Trophy récompense la personne la plus importante des Celtics chaque année. Un personnage clivant qui tient une place importante dans le cœur des Bostonians depuis sa disparition le 28 octobre 2006.


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