Keith Jennings : Mister et boule de gomme
Portrait
Ah il a dû la cajoler, l’apprivoiser, l’aimer cette boule de gomme orange ! Plus et mieux que beaucoup, car il partait de beaucoup plus loin que tous les autres : avec son 1,70 m, il fallait qu’il soit plus clairvoyant, plus tenace, plus malin. C’est pour ça que Keith Jennings, qui fête ses 54 ans aujourd’hui, est grand…
Il a choisi ce sport très tôt tout en sachant pertinemment qu’il partait avec un handicap et que, pour lui, ce serait plus dur. C’est pour lui insuffler énergie et confiance que son père l’a rapidement surnommé « Mister ». Car il lui en a fallu beaucoup pour travailler d’arrache-pied et trouver la formule idoine pour être un jour reconnu dans un univers codé où les exceptions étaient rares. Travailler le dribble, le bon geste, les aiguillages, les feintes du corps et du regard. Travailler la science du jeu pour s’ajuster à l’adversité. Et puis le tir : « Dès le lycée, ma mère nous réveillait à 6h, mon frère et moi, parce qu’elle allait travailler. Nous on se pressait pour aller shooter avant d’aller à l’école. Tous les jours, on prenait 200 shoots chacun. » Nous sommes dans les années 80.
Il n’y a finalement pas de mystère : la recette était connue. Ce sera plus fort, plus longtemps, plus intelligent. Il n’y a pas plus de fatalité, quand on croit en ses rêves. « Mes parents m’ont élevé en me disant de ne jamais reculer, de n’avoir peur de personne. Si mon adversaire lit la crainte dans mes yeux, alors j’ai déjà perdu. »
Il a fallu aussi composer avec la blessure, les genoux que l’on martyrise plus que de raison à force de compenser et de ruser. Elles ont freiné, régulièrement hélas, le cours d’une carrière qui le vit d’abord faire des aller-retours entre son pays et l’Europe (Hagen, Estudiantes), pour à chaque fois tenter de prouver qu’il pouvait passer le plafond de verre et s’imposer en NBA. Avec le recul, il pense qu’avec dix centimètres de plus, il se serait définitivement imposé dans la grande Ligue.
BACK-UP DE TIM HARDAWAY

Keith Jennings devant le Villeurbannais Crawford Palmer
On ne refait pas l’histoire, mais avant de signer à Golden State, il a suivi le parcours d’un combattant pas comme les autres, bravant les moqueries, convainquant un à un ses détracteurs d’abord au lycée puis à l’université (East Tennessee State) où il s’impose parmi les meilleurs de la promotion 1991, mais quand il s’agit de concrétiser par la Draft, le juge de paix, ses 70kgs tout mouillé apparaissent rédhibitoires aux yeux des franchises frileuses. « Je pensais qu’e j’allais être drafté, mais ça n’est pas arrivé. C’est la première chose qui m’a rendu humble. Ce fut une leçon de vie. Pendant très longtemps, jour après jour, je me suis posé la même question : « Pourquoi ? ». Cela m’a rendu très triste. Cleveland, Indiana et Milwaukee m’avaient appelé et disaient être intéressés pour le second tour…. Le jour où le fax est tombé, je l’ai lu et relu sans voir mon nom et je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. »
Une saison à Brandt Hagen pour se faire une santé et revoici le temps des camps d’été et donc des opportunités. Il vient en forme à celui de Salt Lake City et lorsqu’il apprend que les Golden State cherchent un back-up à Tim Hardaway, il ne laisse pas passer sa chance : « Coach Don Nelson m’a dit aimer mon shoot, le fait que je provoque des choses sur le terrain et que je ne perde pas beaucoup la balle. Comme il avait besoin de quelqu’un de rapide, capable d’élever le tempo, qui correspondait à leur jeu et que je lui plaisais, l’affaire s’est faite. »
Oui mais voilà. Il sera dit que décidément, rien ne sera aisé, comme si les épreuves précédentes ne suffisaient pas, voici qu’au bout de huit matches convaincants, c’est son corps qui se venge : il se rompt les ligaments du genou. Fin de l’histoire ? Non, car Nelson, emballé, le rassure rapidement : il compte sur lui pour la saison d’après. Keith Jennings lui rendra la confiance en réalisant deux belles saisons (76 et 80 matches une vingtaine de minutes de temps de jeu).
Il est – enfin – connu et surtout reconnu, comme un « vrai » basketteur et entre dans la légende des rares exceptions qu’étaient Spud Webb (1, 70m), Muggsy Bogues (1,59m) ou Greg Grant (1,70m). Mais dans un registre différent : « Mon point fort c’est le tir. Sans vouloir paraitre prétentieux, mais parce que j’ai confiance en moi, j’ai la conviction d’être un meilleur shooteur que la majorité des autres meneurs de la ligue. »
LA TROUVAILLE DE PHILIPPE SUDRE
A la fin du bail, en 1996, sans contrat garanti malgré une offre des Raptors, mais sans visibilité sur son temps de jeu, il repart en Europe, à Madrid pour jouer pleinement. Il se reblesse (l’autre genou), en pré-saison, au moment d’intégrer les Denver Nuggets. Sept mois d’attente avant de recourir et le risque de sortir des radars.
C’est à ce moment-là – nous sommes à l’été 97 – qu’intervient Alain Weisz, le coach du Mans. « Je charge Philippe Sudre, mon adjoint, de partir à la recherche d’un meneur américain relevant de blessure ou méforme, mais possédant un gros potentiel. Dans ses fiches, il trouve le nom de Keith Jennings. Bonne pioche ! » Josh Grant, l’intérieur manceau et ancien coéquipier aux Warriors, le recommande chaudement.
Jennings arrive en France. Il défraie la chronique : jamais la Nationale 1 n’a connu un si petit renfort étranger. Et pourtant. « Ses débuts sont difficiles et ne peuvent laisser imaginer ce que Mister va réaliser par la suite. »
Jennings dispute les 30 matches et joue 35’ par match. Il fait la maille avec Grant et Juan Aisa avec une belle adresse aux trois points (54/115), et fait une doublette de « minis » avec Erwan Bouvier. Avec, au passage, un match bluffant contre le PSG avec 41 d’évaluation (voir l’article « le match parfait de Mister Keith Jennings contre le PSG ») pour une place en quart de finale (élimination face au futur champion, Pau-Orthez). KJ termine
UNE SAISON 1998-99 ANCREE DANS LES MEMOIRES

As du maniement de balle @Pascal Allée
Il décide de rester et Alain Weisz lui donne plus de responsabilités après les départs de Grant et Aisa. Avec Dioumassi, Coqueran, Stansbury Reese et Maurice Smith comme coéquipiers, Ce sera sa saison la plus aboutie, celle qui le fait passer au statut de légende. Multipliant les prouesses techniques, une adresse jamais démentie (63/139 aux trois points), terminant, à titre personnel, dans le Top 10 dans sept catégories statistiques dont la meilleure évaluation et le titre de meilleur marqueur. Pour arriver à ses fins à ce sujet, Alain Weisz raconte comment l’équipe s’est mise à son service lors du dernier match de la saison régulière pour devancer James Scott. Il fallait que Jennings marque 23 points contre Toulouse. « Or, à dix minutes de la fin, Keith n’a inscrit que 6 points. Il n’a, comme d’habitude, pensé qu’à distribuer le jeu pour gagner le match : Le Mans mène effectivement de 20 points. » Weisz décide alors de déployer un pressing tout terrain en faveur de Keith. Jean-Aimé Toupane, le coach adverse, ne comprend pas et prend mal l’affaire. Et Weisz de lui faire expliquer la manœuvre lors d’un temps-mort. Keith prendra tous les tirs manceaux lors des dix dernières minutes pour réussir 31 points au final et dépasser Scott de 0,02 point de moyenne !
Il confie : « Puisque de tous temps j’ai joué contre des gars plus grands, j’ai appris à faire avec, à tirer plus vite qu’un autre. C’est une nécessité. Et puis je sais que la trajectoire sera toujours plus haute que n’importe quel de mes adversaires. Si je sens que prendre le tir est risqué, alors j’ai toujours l’option de passer la balle, de fixer, dribbler un pas de plus, de trouver une nouvelle solution. » Tout est dit !
Il est logiquement élu MVP de la saison. Il élève son niveau en playoffs écartant Cholet en belle lors des quarts de finale avec 28 points à son compteur. En demi-finale, Le Mans perd à l’aller à Villeurbanne (79-70). Au retour, le 25 avril 1999, les supporteurs, sous le charme, comptent sur Keith, devenu Kiss, pour renverser la vapeur et affichent, en guise de soutien, son portrait souriant en effigie. Moment de grâce à Antares, mais l’ASVEL de Sonko et Rudd s’impose sur le fil (63-65).
Ce sera son dernier match au Mans. Il entre au Panthéon du club avec une épitaphe magistrale de son coach : « A un problème de taille extraordinaire dans le sens « pas ordinaire », Keith apporte des réponses extraordinaires. Il est exceptionnel et condamné à l’être. Il y a de la magie chez ce joueur-là. »
REAL, FENER? ST PETERSBOURG ET SIG DANS LA MEME SAISON
Encore sous contrat, et malgré ses déclarations d’amour, le business prend le pas. Il est annoncé au Real Madrid puis à Villeurbanne. Après un imbroglio et un buy-out versé au MSB, ce sera bien le Real. Choisi par le président, Lorenzo Sanz, mais non désiré par le coach, Sergio Scariolo, l’affaire fit long feu : quatre matches. Il file au Fenerbahçe où ça ne matche pas. Et enfin au Spartak St Petersbourg. Pas mieux. La nouvelle vient aux oreilles de Frédéric Vitoux, le coach de la SIG Strasbourg, resté dans les startings-blocks (2v/5d). Il décide de changer d’option après des erreurs de casting (Terry, English). « J’apprends que Jennings est disponible, que ça ne se passe pas si bien que ça à St Petersbourg et, comme j’ai un Frédéric Forté polyvalent, je peux avoir un back-court intéressant ». Les sponsors strasbourgeois remettent au pot et l’affaire se fait : la SIG sera le… 4° club de Jennings dans cette saison. « On a devancé Pau de 24 heures, Keith nous avait déjà donné sa parole. »

Panier à Villeurbanne sous le maillot strasbourgeois
Mini Keith dispute son premier match le 3 décembre mais il fait le maximum : il signe un succès à l’arraché contre Bourg : 92-89 après prolongation assorti d’un 28 d’évaluation. S’enchaine une série de onze succès de rang dont un 69-73 dans son Antares chéri et un 70-69 contre Pau : « Mon meilleur souvenir c’est sans doute ce match contre Pau, racontera Jennings plus tard. Nous jouions à domicile et nous étions menés de 26 points. Je me souviens que nous nous sommes arrachés pour réussir un sacré come-back et les battre sur le fil. Je me rappelle que c’est Bruno Coqueran qui nous sauve en contrant leur dernier tir ».
« Il est très altruiste. Il a la capacité à rendre les autres meilleurs. Il donne une énorme confiance aux autres. Il peut se montrer discret durant tout un match, faire jouer les autres, et, si besoin est de se montrer décisif dans le money time. Quel match ! ». La première année, la SIG avait joué les demi-finales. L’année suivante, avec une sacrée équipe, JR Reid, Hugues Occansey, Kornel David, pas de play-offs : « Le club s’est séparé de beaucoup de joueurs en cours de saison. J’étais blessé une grande partie de la saison et je n’ai joué que huit matches. Tous ces événements ne permettent pas de gagner un titre, même si nous avions, au départ, une équipe très forte. »
Il file au SLUC Nancy de Sylvain Lautié. Il fait le job, joue toujours beaucoup (30’) aux côtés des Masingue, Zianveni, Autry ou Lokhmanchuk mais son impact est moins fort. Le poids des années ? En tous cas, une saison terne où il ne pointe qu’au classement des lancers-francs (94%). Au printemps 2003, au referendum de la saison établi par Maxi-Basket, il n’apparait qu’au 14° rang des meilleurs joueurs étrangers, loin derrière l’ingérable cube du Mans, Rico Hill, MVP puis licencié…
De retour aux affaires après le traumatisme suédois avec l’équipe de France, Alain Weisz, son coach fétiche est enrôlé à Strasbourg. Il pense à lui l’été 2003. Il reconstitue, quatre ans plus tard, le duo. Autour de Jennings, une équipe solide, avec les Palmer, Perincic, Nissim (futurs champions la saison d’après), Rupert qui explose et surtout Hughes l’homme aux tresses, meilleur artilleur et MVP. Jennings disputera les 34 matches ainsi que les playoffs perdus contre le futur champion, Pau-Orthez. Il aura encore des fulgurances, sera toujours adroit, mais le rythme et la fluidité déclinent logiquement. Il a 36 ans. Après 71 rencontres sous le maillot strasbourgeois, il décide de prendre sa retraite.
LA NOSTALGIE DU MANS
Dès son retour aux Etats-Unis, il se lance dans le coaching (trois saisons à la Warrengton High School) puis revient à sa fac (East Tennessee) comme assistant puis prend des postes dans des collèges, successivement à Science Hill, à Bluefield et enfin à Lees-Mac Rae en Caroline du Nord (NCAA II) où il coache les filles.
Nostalgique malgré les trois bonnes saisons du « réplica » Shawnta Rogers encore plus micro (1,63m), Le Mans SB accrochera son maillot orange frappé du 7, aux cintres d’Antares.
Nostalgique aussi, le meneur : « Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que j’aurais aimé passer la plus grande partie de ma carrière au Mans. Mais quand vous êtes un Américain, MVP, que vous avez la chance de pouvoir gagner plus d’argent… Une carrière ne dure pas pour toujours. Mais si j’étais resté, ma carrière aurait probablement été meilleure ». Une carrière par ailleurs saccadée en raison de ses blessures à répétition.
Keith reviendra en mai 2017 à l’occasion des 30 ans de la LNB. Il fera un périple tant au Mans qu’à Strasbourg (où il reverra Vincent Collet qu’il a connu assistant d’Alain Weisz dans sa saison mythique). Il remet le maillot du 250° match à la SIG à Paul Lacombe. Toujours avec le sourire. Toujours avec la classe. Toujours avec l’amour de la boule de gomme orange. On est Mister ou on ne l’est pas….
Sources : Pascal Legendre, Vincent Loriot/Maxi Basket, Passion Basket, mémoires d’un coach par Alain Weisz/Ramsay.
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