Eurobasket 1935 : Les débuts de la Roja, de l’argent au néant
Eurobasket
Bête noire des Bleus, l’Espagne s’est imposée depuis des décennies comme une nation majeure du basket européen. Et dès les débuts du championnat d’Europe en 1935, le parcours de la Roja a été glorieux. Cependant, le contexte politique et la guerre civile espagnole va mettre un coup d’arrêt au développement de la sélection ibérique. Il faudra beaucoup de temps aux Espagnols pour se relever et renouer avec le succès.
Nous sommes le 15 avril 1935 à Madrid. La fédération espagnole de basket-ball existe depuis 1923 et la sélection masculine d’Espagne s’apprête à faire son entrée sur la scène internationale. A quelques jours du premier championnat d’Europe de basket qui aura lieu à Genève du 2 au 7 mai, l’Espagne dispute son ticket pour la compétition face à son voisin portugais. La rencontre se tient au Stade de Chamartin, enceinte du Real Madrid. S’il s’agit du premier match de l’histoire de la sélection espagnole, les Portugais ont quant à eux déjà disputé quatre matchs entre 1931 et 1934 pour autant de défaites et contre le même adversaire, la France.
La rencontre est arbitrée de manière inattendue par le sélectionneur argentin de l’Espagne Mariano Manent, ancien coach du FC Barcelone. La sélection portugaise ne semble pas avoir trouvé à redire. L’Argentin est d’ailleurs à l’initiative d’une rencontre entre les deux frères ennemis de Castille et de Catalogne en mars 1935, point de départ de la formation de cette première équipe d’Espagne. On retrouve pour ce Espagne-Portugal la quasi totalité de l’effectif qui prendra part au championnat d’Europe à l’exception des Catalans Fernando Muscat et Joan Carbonell retenus par leurs emplois respectifs. Maximo Arnaiz pour sa part sera de la partie contre le Portugal mais pas dans l’équipe à Genève. Parmi les fondateurs de la section basket du Real Madrid en 1931, le natif de Burgos se consacrera par la suite au développement de la balle orange au sein des instances dirigeantes du basket espagnol. Cet Espagne-Portugal constitue ainsi son unique sélection.

La Roja lors du Espagne-Portugal de 1935
Ce match de qualification constitue le point d’orgue d’un événement à la gloire de la balle orange. L’édition barcelonaise du Mundo Deportivo note ainsi la présence du secrétaire de la présidence de la République, Rafael Sanchez Guerra qui deviendra président du Real Madrid pendant la guerre civile avant d’être arrêté par le régime franquiste puis de s’exiler en France pour ne retourner en Espagne qu’en 1959. Le ministre de la guerre, Carlos Masquelet également contraint à l’exil quelques années plus tard et l’ambassadeur du Portugal sont également présents.
Devant de nombreux collégiens madrilènes invités pour l’occasion, la soirée se lance par un match opposant des sélections militaires de Castille et de Catalogne. Pour l’anecdote, on retient la victoire des Catalans en terres castillanes sur le score de 34 à 13.
Après une démonstration de la société espagnole de gymnastique qui semble avoir eu les faveurs du public, le stade de Chamartin peut enfin accueillir la première sortie internationale de l’équipe d’Espagne.
Le match tourne rapidement en faveur des Espagnols, devant à la pause, 16 à 6. La domination perdure en seconde période pour voir la victoire de la Roja, 33 à 12. Le Portugal s’incline une fois encore pour son cinquième match. Il faut attendre 1951 pour voir la première victoire portugaise après douze défaites de rang. C’est donc l’Espagne qui est ainsi désignée représentante de la péninsule ibérique pour le premier championnat d’Europe de basket.
L’aventure suisse débute pourtant difficilement pour la toute jeune roja puisque, faute de moyens financiers, Gonzalo Aguirre, alors président de la fédération espagnole, est contraint de prendre en charge les dépenses liées au voyage. Malgré ce geste généreux du président, les Espagnols n’atteignent Genève que cinq heures avant le début de leur premier match face à la Belgique. Loin d’être pris de court, les Espagnols rivalisent avec des Belges favoris de la rencontre. La défense espagnole permet de contenir la marque belge de sorte que les Espagnols sont devant à la pause : 14 à 7. Le second acte est à l’image du premier. L’Espagne maintient une défense de fer pour mener bientôt 20 à 7 en début de période. Ils s’imposent finalement 25 à 17 après un sursaut d’orgueil de la sélection belge qui ne perd cette deuxième mi-temps que d’un point, 11 à 10. Si l’intérieur d’origine cubaine, Pedro Alonso (son frère Emilio est également en sélection) domine la marque avec 9 unités, c’est bien Rafael Martin qui se distingue comme maître à jouer de l’équipe. Le joueur de l’America Madrid sera d’ailleurs désigné MVP de la compétition.
La formule curieuse de compétition qui voit certaines équipes directement placées en quarts de finale quand d’autres doivent disputer un huitième permet aux Espagnols, avec cette victoire, d’accéder directement au dernier carré.
En demi-finale, la Tchécoslovaquie se dresse devant l’Espagne. Au tour précédent, les Tchécoslovaques sont venus à bout de l’équipe de France (courte victoire 23 à 21) que certains observateurs notamment espagnols plaçaient comme favoris avec l’Italie. C’est le cas du Mundo Deportivo. Ces derniers sont d’ailleurs extrêmement enthousiastes sur le contenu du match Tchécoslovaquie-Espagne qu’ils considèrent comme le match le plus intéressant du tournoi. Excès de patriotisme ou non, toujours est-il que les valeureux espagnols jouent crânement leur chance. La première période est disputée et les deux équipes rentrent aux vestiaires sur un score de parité, 10 partout. Emmenée par Martin (10 points) et l’autre frère Alonso, Emilio (8 points), l’Espagne parvient à se hisser à la surprise générale en finale. L’Espagne l’emporte en effet 22 à 17.
Les Espagnols débordent de joie à tel point que la police suisse est obligée d’intervenir pour tapage nocturne après la rencontre. L’incident n’empêche pas la sélection espagnole de disputer la finale dès le lendemain face à un autre invité surprise, la Lettonie.
Portés par leur pivot Rudolfs Jurcins (11 points), les Lettons dominent physiquement leurs homologues espagnols. Les hommes de Mariano Manent sont derrière à la pause, 18 à 8. Les Espagnols se reprennent dans le second acte mais laissent filer ce premier titre de champion d’Europe (24-18). Les Baltes remportent là leur seul et unique titre européen.
Cette médaille d’argent présage un futur prometteur pour la Roja. Cette place de finaliste leur octroie en effet un ticket pour le premier tournoi olympique qui doit se tenir l’année suivante à Berlin.
Hélas à la veille de ces jeux de Berlin, les 17 et 18 juillet 1936, une tentative de coup d’État est lancée par des généraux nationalistes soutenus par les monarchistes pour renverser la seconde république espagnole. Si le putsch est un échec, il conduit à l’affrontement des camps nationalistes et républicains et plonge l’Espagne dans une guerre civile. La victoire du camp nationaliste en 1939 place à la tête de l’Espagne l’un des putschistes, le général Francisco Franco. Celui-ci en retrait au début du conflit s’est imposé comme le leader nationaliste après la mort accidentelle au début de la guerre des deux principaux instigateurs du coup d’état, les généraux José Sanjurjo et Emilio Mola. Son arrivée au pouvoir marque alors le début d’un régime dictatorial en Espagne qui ne prendra fin qu’avec sa mort en 1975.
Cela marque évidemment un coup d’arrêt au développement de la toute jeune sélection espagnole qui ne participe pas aux jeux olympiques de 1936. L’équipe se voit également amputée de plusieurs de ses membres, Cayetano Ortega qui trouve la mort durant le conflit et Armando Maunier dont le père est français et qui traverse quant à lui les Pyrénées. Maunier qui avait joué le rôle de correspondant dans les journaux espagnols pour relater l’exploit de l’Euro 1935 rejoint Toulouse en 1937. Il s’engage alors avec l’Étoile rouge de Toulouse qui dispute le championnat FSGT (fédération sportive et gymnique du travail).
L’Espagne malgré la guerre civile envoie tout de même une équipe aux olympiades ouvrières d’Anvers en 1937. Cette compétition rassemble alors les différentes fédérations travaillistes dont la FSGT et les Espagnols vont se distinguer. Toujours entraînée par Mariano Manent, l’équipe d’Espagne s’impose en finale face à la France et décroche le titre. Quelques jours plus tard sur le chemin du retour, les Espagnols sont conviés à Toulouse pour un match de gala en soutien aux réfugiés espagnols. Ironie de l’histoire, l’Espagne affronte l’Étoile rouge de Toulouse d’Armando Maunier. Les Toulousains viennent à bout d’Espagnols fatigués, 34 à 23.
L’équipe d’Espagne ne retrouve les terrains qu’en 1943. C’est une fois encore à Toulouse pour le premier France-Espagne de l’histoire FIBA. Cette rencontre se tient dans un contexte bien particulier et pour cause la France vit à l’heure de l’occupation et l’Espagne sous le régime franquiste naissant. L’organisation du match est d’ailleurs un véritable tour de force devant les difficultés et on ne sait jusqu’au dernier moment si la rencontre aura bien lieu. Finalement devant près de 7000 personnes, et au terme d’un match haletant, Henri Lesmayoux donne la victoire à la France sur un tir dans les derniers instants (25-24). Armando Maunier n’est pas loin puisque devenu journaliste, il commente ce duel à la radio.
Par la suite, la Roja est de nouveau mise en sommeil et ne retrouve les paniers qu’en 1947 pour une rencontre à Madrid face au Portugal. Ils retrouvent ensuite la France en pleine préparation des Jeux de 1948 au Fronton Recoletos de Madrid, une salle initialement prévue pour la pelote basque. Entre 1943 et 1950, l’équipe d’Espagne ne rencontre que deux adversaire, la France et le Portugal pour un total de six matchs, trois défaites contre les Tricolores et autant de victoires contre les Portugais.
La Roja fait son retour en compétition officielle à l’occasion du premier championnat du monde en Argentine en 1950. Cette fois-ci, la sélection ne crée pas la surprise et termine à la neuvième place sur dix avec un bilan d’une victoire pour deux défaites. Pour le championnat d’Europe, le retour est également difficile. A Istanbul en 1959, l’Espagne ne peut faire mieux qu’une bien modeste quinzième place sur dix-sept nations participantes.
Les classements anecdotiques se poursuivent dans les éditions suivantes des différentes compétitions hormis deux éclaircies avec deux médailles aux jeux méditerranéens de 1951 et 1955. Le retour au sommet se fait cependant attendre. Il survient à domicile lors de l’Eurobasket catalan de 1973. A Barcelone, la Roja décroche sa deuxième médaille d’argent. Dès lors, hormis une neuvième place en 1977, les Espagnols ne termineront jamais moins bien qu’une sixième place dans un championnat d’Europe. Depuis, avec treize médailles continentales, troisième meilleure performance de l’histoire, l’Espagne s’est indéniablement imposée comme une place forte de l’Eurobasket.
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