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[Long Format] Jacky Chazalon, le dernier trimestre – Episode 3 : crépuscule à Hamilton

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Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Jacky Chazalon a prolongé sa carrière d’une saison pour trois opportunités historiques concentrées en ce printemps 1976 : enlever une première coupe d’Europe avec le Clermont UC, conquérir une médaille d’argent au championnat d’Europe dans sa salle fétiche et participer aux Jeux de Montréal qui accueillent – enfin – le basket féminin. Les deux premiers objectifs sont ratés (voir épisodes 1 et 2). Il reste le dernier, le plus inédit : se qualifier pour les JO…

Pas le temps de gamberger.

Dès le 3 juin 1976, soit trois jours après le match de prestige et de clôture du championnat d’Europe entre l’URSS et la sélection européenne emmenée par Jacky Chazalon et Irène Guidotti et dirigée par Joë Jaunay, les Tricolores, qui ont terminé au pied du podium dans « leur » championnat d’Europe à Clermont, sont déjà rassemblées pour un stage avec la Hongrie.

L’affiche des JO de Montréal

Quinze jours plus tard, l’équipe de France se retrouve – pour la première fois – en Amérique du Nord, à Hamilton, dans l’Ontario au Canada. Elle se prépare sur place avec l’équipe du Canada, qualifiée en tant qu’organisateur des Jeux.

La sélection française se présente inchangée par rapport à l’Euro : les sept jeunes femmes du Clermont UC (Françoise Quiblier, Maryse Sallois, Dominique Leray, Irène Guidotti, Colette Passemard, Jacky Chazalon, Elisabeth Riffiod), deux anciennes du CUC (Christine Rougerie de l’AS Montferrand et la benjamine de 20 ans, Catherine Malfois, du CS Toulon), la capitaine et ainée, Jacqueline Delachet (Evreux AC), Christine Delmarle (Gerbe de Montceau), déjà 94 sélections à son actif à 24 ans et Anne-Marie Patan (Stade Montois).

L’enjeu est de taille. Se qualifier pour les Jeux Olympiques de Montréal, qui, pour la première fois, accueillent le basket féminin. Enfin. Mais du bout des lèvres : 6 équipes seulement sont retenues dans le programme, soit le strict minimum pour rendre l’épreuve crédible.

40 ans après les hommes, il était temps pour les femmes de faire leur entrée dans la sphère olympique après de longues années de vaines revendications alors que le volley féminin a intégré la famille dès les Jeux de Tokyo en 1964.

C’est néanmoins une belle victoire pour « la balle au panier » précisément inventée par un Canadien d’origine, James Naismith.

C’est aussi la dernière compétition pour Jacky Chazalon qui, à la fin des championnats d’Europe, annonce sa retraite à venir. C’est peut-être aussi le volet le plus difficile de son triple pari.

LES FRANCAISES PARMI LES FAVORITES, MAIS…

Compte tenu de leur standing, les Françaises sont placées parmi les favorites juste derrière l’URSS… pour le premier titre olympique.

Reste d’abord à se qualifier. Il faut conquérir l’une des deux places restant à pourvoir face à huit adversaires et rejoindre le Canada et les trois premiers du dernier championnat du monde de Bogota en 1975 : l’URSS, le Japon et la Tchécoslovaquie.

Dès l’ouverture, le 25 juin, les Etats-Unis, totalement sous-estimés par tous les spécialistes (ils n’avaient terminé que 8emes du Mondial de Bogota l’année précédente), s’imposent avec maitrise à la France (71-59). En contact au repos (39-34), puis encore (41-38), les Tricolores, malgré Guidotti (19 points) et Chazalon (15) plient sous les paniers de la virevoltante Ann Meyers, la taille de Lusia Harris ou le talent de Nancy Lieberman. Team USA a imposé sa puissance athlétique. L’équipe américaine se révèlera d’ailleurs aux yeux du monde du basket à Montréal en atteignant la finale.

La lutte pour la deuxième place reste toutefois ouverte. Elle le sera jusqu’au bout.

La flamme olympique @Getty / Walt Disney Television via Getty Images SPORTS – 1976 SUMMER OLYMPICS

Dans le groupe A, après les Etats-Unis, la France affronte la Pologne. En compétition officielle, les Bleues restent sur deux victoires d’un point face aux Polonaises (68-67 à Rotterdam en 1970) et 53-52 à Clermont quelques semaines plus tôt. Autant dire que pour ce match-clé, elle n’a aucune marge. Une nouvelle fois trop maladroite, mais aussi en mal de rebonds, la France est battue de quatre points (65-61) devant des Polonaises qui ont contrôlé un match âpre et tendu (29-23 au repos).

Les Polonaises arraisonnent ainsi définitivement les chances françaises de défiler à la cérémonie d’ouverture avec la délégation française le 17 juillet. En vain, car elles ne se qualifient pas non plus : ce sont les Etats-Unis et la Bulgarie qui passent. Tous deux termineront d’ailleurs sur le premier podium olympique, l’or étant confisqué par l’URSS (qui enlève la première finale en battant Team USA : 112-77).

« Cela a tenu à un rien, regrettera Jaunay. Un retour en zone litigieux contre la Pologne dans les dernières secondes. Mais l’équipe de France jouait à la limite. Elle n’avait plus aucune marge de sécurité. Elle avait régulièrement décliné depuis sa seconde place au championnat d’Europe, mais elle demeurait toujours dans le peloton de tête. »

L’équipe de France termine sur une victoire finalement inutile contre le Mexique (55-35) le 30 juin en ne sachant pas encore, à ce moment-là, qu’elle avait perdu toute chance de se qualifier. Avec les 15 derniers points en carrière de Jacky Chazalon, mais aussi 16 de Françoise Quiblier, comme un passage de témoin avec la nouvelle génération.

Derniers paniers, derniers dribbles, dernières passes en compétition pour la joueuse formée à Alès qui stoppe là sa carrière à 31 ans.

Au global, les Bleues ont, à nouveau, fait preuve d’une maladresse qu’on ne lui connaissait pas les années précédentes, comme si un ressort était définitivement cassé, malgré une évidente volonté de bien faire.

Les Bleues terminent meurtries et désabusées, saturées et usées par les 17 rencontres disputées en très peu de temps, comme une overdose de basket.

Le troisième objectif passe.

« Nos filles n’ont rien à se reprocher, déclare Robert Busnel, le président de la FFBB, présent à Hamilton. Elles sont tout simplement un peu moins rapides qu’avant, un peu moins adroites aussi. C’est le petit quelque chose en plus qui leur permettait d’arracher des victoires qu’elles n’ont plus… »

« C’est la fin d’une époque, le point final d’une aventure longue de dix ans et dont le sommet se situe de 1970 à 1972. Les Françaises ont été très courageuses, mais il y a maintenant chez elles un phénomène de lassitude générale. Une page est tournée, beaucoup de joueuses vont nous quitter, comme Jacky Chazalon et Colette Passemard et il va falloir repartir de zéro » déclare Joë Jaunay, amer et très déçu.

UNE FIN EN QUEUE DE POISSON

Avec Jacky Chazalon, trois autres comparses en bleu et combattantes exceptionnelles dans des joutes mémorables à travers le monde durant toutes ces années, prennent leur retraite internationale en ce 30 juin 1976 : la capitaine Jackie Delachet (239 sélections), Colette Passemard (209 sélections), Christine Dulac-Rougerie (107 sélections) sans parler du sélectionneur, qui ne sait pas alors qu’il vient de coacher son dernier match chez les Bleues, mais qui restera toutefois DTN. Des Bleues qui ne reprendront d’ailleurs le collier que… 21 mois plus tard (contre l’Espagne 98-62 le 20 mars 1978 à Montigny-le-Bretonneux sous les ordres de Jean-Paul Cormy).

Pour elles, les Jeux olympiques de Montréal sont arrivés quelques années trop tard… Il faudra attendre 24 ans et les Jeux de Sydney en 2000 pour voir les Bleues se qualifier enfin pour les JO.

13 ans après avoir débuté, à 18 ans, contre la Suisse le 1er décembre 1963 à Strasbourg, Jacky Chazalon boucle sa carrière forte de 189 sélections et 2 334 points marqués sous le maillot bleu, de quatre finales de coupe d’Europe et de 9 titres nationaux au CUC.

On pourra toutefois regretter cette fin en queue de poisson.

A l’issue du match contre le Mexique, Jacky Chazalon (N°10), Jackie Delachet (n°8) et Colette Passemard (n°9) prendront leur retraite internationale. @L’Equipe Basket Magazine.

Bien-sûr beaucoup se contenteraient d’une place en finale de coupe d’Europe et d’une 4eme place à l’Euro. Pourtant, malgré le courage et la ténacité, il reste l’impression diffuse d’être passé de près à côté de quelque chose d’encore plus fort, d’unique, de magique. On se gardera de parler de mérite car, en sport, il fait rarement bon ménage avec le succès. « Ce n’était en effet pas notre meilleure année. Trop de challenges en quelques mois et probablement une équipe en bout course » confie, avec le recul du temps, la championne, en décembre 2021.

On regrettera surtout la fin de l’histoire délicate au CUC mal vécue par Jacky à l’heure de la retraite et du départ. Aux différents sentiments qui s’entremêlent, comme le soulagement et l’inquiétude, s’ajoute l’amertume. Elle aurait apprécié un peu plus de reconnaissance et de valorisation de la part de la Fédération et de son club où elle était présente dès les premières heures de sa création en 1964. Le CUC est au bord de la rupture en cette fin de saison 1976, avec, pêle-mêle, des dissensions internes, la lassitude, le statut social des joueuses et des soucis financiers, mais saura se relancer in extremis avec l’arrivée d’un homme neuf et fédérateur, Bill Sweek.

Jacky Chazalon a révolutionné le basket féminin et inspiré de nombreuses jeunes filles des années 70 à la pratique du basket ball (« Que l’on fasse de moi une vedette m’intéresse seulement dans la mesure où cela contribue à rendre populaire un sport qui a toujours été sous-estimé » déclare-t-elle en 1972). Elle est devenue l’égale des icônes des années 70, comme les sœurs Goitschell, Annie Famose, Christine Caron, Janou Lefèbvre, Colette Besson ou Françoise Durr.

Pour autant, elle aborde son après-carrière sans certitude, dans un certain désarroi avec la suite de sa vie à construire, y compris au plan matériel. « Nous les basketteuses, nous ne sommes pas comme les skieuses. Nous ne terminons pas notre carrière avec des millions de côté. »

« Il faut savoir se lancer à corps perdu dans une activité, estime Chazalon dans l’Equipe Basket Magazine d’avril 1976, mais il ne faut surtout pas oublier de continuer ses études. Il faut se fixer deux objectifs : d’un côté le sport, de l’autre la vie professionnelle et l’avenir. Le sport finit très tôt et la vie doit continuer ensuite. Quand il y a une coupure nette et tranchante, il est beaucoup plus difficile de se réintégrer dans la vie quotidienne que lorsqu’on s’y est préparé tout en faisant du sport. »

PREMIERE FEMME AU FIBA HALL OF FAME

Elle a une offre pour l’Italie et une touche pour intégrer une ligue professionnelle aux Etats-Unis. Elle n’a plus la flamme et y renonce, préférant rejoindre l’INSEP pour y suivre des cours et se lancer dans l’importation dans le sud de la France du concept des camps privés pour les jeunes basketteurs pendant les vacances, qui seront une innovation réussie.

L’histoire reconnaitra Jacky Chazalon plus tard. Elle sera la première femme à entrer dans le FIBA Hall of Fame (en 2009) et sera désignée meilleure joueuse française du 20eme siècle par le journal Maxi-Basket.

Et, en guise de conclusions, l’hommage de son ancienne coéquipière, Olga Djokovic, et ce qui, finalement, a porté Jacky durant sa carrière.

Jacky Chazalon (en blanc, à côté de Henry Boério) icône du sport français des années 70 aux côtés, notamment, de Michel Hidalgo, Guy Drut, Raymond Kopa, Jean-Claude Bouttier, Hervé Dubuisson, François Jauffret, Jacques Anquetil, Pierre Trentin, Daniel Morelon.
(Archives J. Chazalon)

Devenue journaliste en Yougoslavie, Olga Djokovic écrit en 1982 : « Les femmes jouent au basket autrement que les garçons. Elles ont un style particulier. Et cela doit être ainsi ! Elles ont un style beaucoup plus aérien, plus délicat. Leurs évolutions rappellent souvent le ballet. « Ballet sous le filet du panier… » Et si nous devions nommer de vraies danseuses étoiles du basket, nous devrions mentionner avant tout la Yougoslave Marija Vegner et la Française Jacqueline Chazalon. »

Quant à Jacky, c’est peut-être cette déclaration qui, en 1972, la représente le mieux : « J’aime ce qui réclame une grande maîtrise technique. J’aime ce qui est difficile, spectaculaire. J’aime répéter des centaines de fois le même truc à l’entrainement. Mais chaque geste que j’accomplis est motivé en tout premier lieu par un désir d’efficacité… De toute façon, c’est toujours l’enthousiasme qui me guide. Le jour où je cesserai de jouer et de m’entrainer avec plaisir, on ne me reverra probablement plus sur un terrain… »

Ce jour est arrivé durant ce deuxième trimestre de 1976

 

Sources : L’Equipe Basket Magazine, Une histoire du Basket Français (Gérard Bosc/Presses du Louvre), L’année du basket 1976 (Pierre Tessier, Noël Couedel/ Calmann-Lévy), La fabuleuse histoire du basket-ball (Jean Raynal/ODIL), Objectif Gard (Norman Jardin), International Basketball (AIPS/FIBA), journal Tintin.

About Dominique WENDLING (57 Articles)
Ancien journaliste, joueur, entraîneur, dirigeant, président de club. Auteur en 2021 de "Basket in France", avec Laurent Rullier (I.D. L'Edition) et en 2018 de "Plus près des étoiles", avec Jean-Claude Frey (I.D. L'Edition).

4 Comments on [Long Format] Jacky Chazalon, le dernier trimestre – Episode 3 : crépuscule à Hamilton

  1. Superbe Dominique comme toujours…
    Félicitations.

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  2. Dominique WENDLING // 14 janvier 2022 à 14 02 28 01281 // Réponse

    Merci !

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  3. Un très bel article, juste et sans emphase !
    Du vrai journalisme comme on en fait si peu désormais
    merci

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  4. Dominique WENDLING // 15 janvier 2022 à 16 04 49 01491 // Réponse

    Merci à vous

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