BasketRetro a publié récemment une interview de David Xoual, l’auteur d’un roman, un thriller, ayant pour cadre une université américaine et son équipe de basket. Mais la réalité dépassant parfois la fiction, voici l’histoire sordide mais vraie qui ensanglanta le campus de Baylor U. durant l’été 2003. Le premier crime de l’histoire de la NCAA dont la victime et l’assassin étaient des sportifs.

Juin 2003. Voilà un an que Patrick Dennehy s’est installé dans la communauté des 14 000 étudiants de Baylor U. Située au cœur de Wako, une ville moyenne traversée par la highway 35 qui relie Dallas à San Antonio, Baylor est la plus grande université baptiste du monde. Transféré l’été précédent de New Mexico U, le forward junior a passé une année « redshirt » mais coach Bliss lui a assuré qu’il comptait sur lui pour le saison prochaine. Une année durant laquelle il s’est lié d’amitié avec Carlton Dotson, un ailier fort originaire du Maryland. Dotson est un garçon étrange, exalté par une vision mystique de la religion, il se croit menacé de mort par deux de leurs coéquipiers. Dennehy est-il crédule? S’amuse-t’il de la parano de son pote ? Le fait est, il entre dans le jeu de Dotson et lui promet qu’il le protégera. Les deux garçons achètent des armes, un fusil et deux pistolets automatiques et s’organisent des séances d’entraînement aux tirs sur les terrains vagues des environs. Le 12 juin, ils quittent « The Alamo », la résidence où logent les basketteurs, dans la Chevrolet Tahoe de Dennehy pour aller faire des cartons. On ne reverra plus l’ailier des Bears vivant.

14 juin, l’absence des deux amis à une « party » est remarquée. Les jours suivants Valorie et Brian Brabazon, la mère et le beau-père de Patrick, s’inquiètent de n’avoir aucune nouvelle. Ils font part de sa disparition aux autorités le 19 juin. Chris Turk, le colocataire de Dennehy revenu d’un voyage, constate que les chiens de Patrick n’ont pas été nourris depuis plusieurs jours. Dotson, lui, a été vu en fin de soirée du 12 à Sulphur Spring, une petite commune à 300 km de Wako d’où est originaire son ex-femme. Il était au volant de la Chevrolet de Dennehy et désirait, au dire du témoin, se rendre chez les siens dans le Maryland. Le 25 juin, la voiture est retrouvée, sans ses plaques d’immatriculation, sur le parking d’un centre commercial en Virginie. Le 30 juin, la police descelle une déposition sous serment anonyme enregistrée dans le Delaware datant du 23 juin. Le témoin affirme que Dotson aurait avoué à un de ses cousins le meurtre de Dennehy suite à une dispute. Ce n’est que trois semaines plus tard que les enquêteurs de Waco apprennent que Carlton Dotson a contacté le FBI pour avouer le meurtre. Il entendait des voix, on voulait le tuer car il était le Christ revenu parmi les hommes, Dennehy l’avait menacé…

26 juillet 2003. Le cadavre est découvert dans une gravière à 2 km du campus. Malgré l’état de décomposition avancé, on distingue les deux impacts de balle dans la tête. Pour les policiers de Wako et les agent du FBI qui les accompagnent, il n’y a aucun doute. Il s’agit bien du corps sans vie de Patrick Dennehy.

Le drame de Baylor est un fait-divers sordide. Il peut se ranger dans la malheureusement trop longue liste des meurtres par arme à feu qui caractérisent la société états-unienne. Que Dennehy et Dotson soient des basketteurs universitaires est anecdotique. Le mobile n’a aucun lien avec la balle orange. Un jeune homme ayant de graves problèmes psychologiques qui assassine un camarade suite à une dispute, cela aurait pu se produire dans n’importe quel autre milieu. Mais l’enquête révélera des zones d’ombre dans le fonctionnement même du programme basket de Baylor. Le côté obscur de la NCAA.

APRES LE CRIME, LE SCANDALE

Aout 2003. Dés le 1^er Aout, 4 jours avant l’enterrement de Dennehy en Californie, les langues se délient dans l’entourage des joueurs de Baylor. Melissa Kethley, l’ex-épouse de Dotson, et la mère du Bear Robert Hart parlent d’abus de consommation d’alcool et de marijuana au sein de l’équipe. Coach Dave Bliss et son staff sont accusés d’avoir fermé les yeux. Mme Hart révèle qu’elle s’en est même plainte auprès du directeur sportif adjoint, plainte restée sans suite. Mais le drame oblige l’administration de l’université à changer d’attitude et à diligenter une enquête interne.

Le lendemain de la journée de commémoration en mémoire de Dennehy, Bliss est convoqué par les enquêteurs de l’école et de la NCAA. Selon la petite amie de Dennehy, le coach aurait payé une partie des frais de scolarité non couvert par l’aide financière de l’université, soit 7 000 $. Bliss confirme, comme il avoue avoir effectué quelques jours plus tôt un voyage à New York pour rendre visite à la mère d’un autre joueur, Correy Herring. Pris de panique par l’enquête, il craignait que les investigateurs ne découvrent une grosse différence entre les versements de l’aide financière de Baylor et les comptes du joueur. Bliss ayant versé 18 461 $ à Herring, il avait le projet de se faire passer pour le véritable père du joueur pour justifier cette générosité.

Concernant Dennehy, ne pouvant être le géniteur de toute son équipe, il a fomenté un autre scénario abject : salir la mémoire de jeune homme assassiné. D’où venait les 7 000 $ ? Bliss affirme que Dennehy était un dealer. La drogue justement, parlons-en. Non content de payer en sous-mains des joueurs, Bliss et ses adjoints ont dissimulé les résultats des tests anti-drogues à leur direction. Dave Bliss démissionne le 8 août. Le directeur sportif, Ton Stanton, fait de même bien qu’il n’y ait aucune preuve de son implication dans ces malversations mais dont il assume la responsabilité. La démission de Bliss ne clôt pas pour autant l’affaire de ce que le pays appelle le « Scandale Baylor ». Car l’enquête dévoile toutes les facettes du CV du coach. En poste à Southern Methodist University de 1980 à 1988, il pratiquait déjà les versements en dessous-de-table pour convaincre des étudiants de rejoindre son programme. Il faisait faire des essais à des joueurs scoutés, ce qui est strictement interdit par le règlement de la NCAA.

Mais le pire est le scoop du Forth Worth Telegramme du 16 Aout. Le journal texan dispose d’enregistrements fournis par l’avocat d’Abar Rouse, l’assistant coach, embauché à Baylor quelques jours seulement avant le drame. Ces enregistrements sont ceux d’une réunion organisée par Bliss. Il a convoqué ses joueurs et ses adjoints pour leur demander de mentir aux enquêteurs en leur confirmant ses allégations pour faire de Dennehy un trafiquant de drogue. Très croyant, innébranlable dans ses convictions et principes, Rouse a refusé d’entrer dans la combine odieuse de son boss. Il le paiera très cher.

Allégations d’extorsion, entrave à la justice, subordination de témoin… La coupe pleine pour Coach Bliss. Pourtant aucune plainte n’a été déposé contre lui.

QUE SONT-ILS DEVENUS ?

Le programme basket de Baylor subit immédiatement les conséquences du scandale. Baisse du budget, (seulement 7 bourses basket pour les deux années à venir), libération des joueurs souhaitant être transféré. Les quatre meilleurs partent. L’un d’eux, John Lucas III, deviendra un des éléments essentiels qui permettra aux Cowboys, d’Oklahoma State d’atteindre le Final four en 2004. Les sanctions de la NCAA plongent les Bears dans les tréfonds de la conférence Big 12 pour laquelle ils n’ont pas le droit de jouer durant deux ans. Ils refont surface en 2010 en atteignant l’Elite Eight du tournoi final.

Mis au ban de la profession par ses collègues de la NCAA, on retrouve Dave Bliss dans le personnel administratif ou sportif de lycées, d’abord dans le Dakota, (en bénevole), avant un retour au Texas où il est rattrapé par ses vieux démons. Une sombre histoire de falsification de signature sur un formulaire d’approbation pour un collégien athlète attire sur lui les foudres de l’Association des Ecoles Privées et Paroissiales du Texas.

Abar Rouse trouve un poste d’assistant coach à Midwestern State U. pour un salaire dérisoire. Poste qu’il quitte en 2007. Malheureusement pour lui, si la « confrerie » des coachs a condamné Bliss, elle est aussi sévère, si ce n’est plus, avec Rouse la balance, le mouchard… Mike Krzyzewski, le célèbre Coach K de Duke et de team USA, le démolit. Endetté, barré dans le monde du coaching, Abar Rouse survit comme ouvrier dans une usine d’aéronautique de Wichita Falls.

Et Carlton Dotson ? Jugé en 2005, les examens psychologiques n’ont pas réussi à démontrer qu’il est sujet à des crises de paronïa et autres déréglements mentaux. Il purge une peine de 35 ans.

 Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro