ITW Aymeric Jeanneau – Part 2 : « J’ai toujours pensé que je pourrais pas faire gagner l’équipe seul ».
Interview
Comme prévu, Basket Rétro vous fait découvrir la seconde partie de l’entretien avec Aymeric Jeanneau. L’ex-meneur de Cholet est revenu sur d’autres moments marquants de sa carrière. Au menu, la NBA, le basket français les performances de l’équipe de France sans oublier ses activités de consultant et dans le club de Strasbourg.
Basket Retro : Quelles sont les qualités/défauts que disaient vos coéquipiers, coachs pendant votre carrière ?
Aymeric Jeanneau : Oui des fois on disait que Jeanneau tire pas assez. Tous les entraineurs ont essayé de plus me responsabiliser au shoot. Et je ne sais pas s’il y en a un qui a vraiment réussi. On m’a demandé d’être plus tourné vers le cercle, d’être capable de prendre les tirs. Je pense que c’était un défaut. Le collectif à l’excès devient un défaut. J’avais certainement les capacités à mettre plus de points, prendre plus de tirs, pour créer le danger face aux adversaires. Mais j’ai jamais réussi à le faire. On m’attendait pas à faire la passe mais plus à ce que j’aille shooter. C’est le défaut qu’on m’a toujours dit et qu’on a essayé de corriger sans que ça n’ait eu de succès.
BR : Votre objectif était de faire briller plus vos coéquipiers ?
AJ : L’objectif, c’était de gagner. J’ai toujours pensé que je pourrais pas faire gagner l’équipe à moi tout seul. Je pense que c’est le fond de ma réflexion. J’avais besoin de faire des passes. Je me disais que quelqu’un de plus adroit que moi va tirer. C’est des fausses questions que je me posais. Mon but sur le terrain était de gagner. C’était de réfléchir et de trouver les meilleures situations pour marquer des points.
BR : Avez-vous le souvenir d’un pire déplacement en carrière ?
AJ : (Rires). Oui j’en ai. Le pire des pires, c’était avec le Havre, en Coupe d’Europe. On était à six heures du mat au Havre pour jouer à 18h à Ljubjana dans la même journée. On avait un premier vol. On est allé sur Paris en bus pour prendre l’avion en direction de Ljubjana. Il y avait du retard à cause d’un net brouillard dans la ville où on devait atterrir. On avait un vieil avion de je ne sais pas quelle année, où défilait au-dessus de nos têtes des coffres comme dans les petits bus. C’était pas très rassurant. Au nord de la ville à Ljubjana, on a atterri dans un aéroport désaffecté. L’avion s’est posé sur la piste. On nous a ouvert les soutes, descendus les sacs sur le tarmac. On a attendu en retour que quelqu’un vienne pour nous accueillir. Et en retour personne n’est venu. On a pris nos sacs pour voir où on est. Puis on a perdu le match le lendemain.
BR : Je vais aborder maintenant avec vous la NBA. Quels sont vos premiers souvenirs du basket américain ?
AJ : Ca date de Canal Plus car à la maison on avait la chaîne. On allait chez mon grand oncle qui regardait le basket avec mon grand père pour aller voir les premiers matchs de NBA. Il me semble que c’était un match avec Détroit. Mais j’en ai un vague souvenir.
BR : Quels sont les joueurs/équipes (actuels ou passés) que vous aimez en NBA ?
AJ : J’étais très fan de Magic Johnson et Larry Bird dans les années 80. Magic était meneur de jeu. Ca me ressemblait un peu car tout petit j’aimais jouer au poste 1. Mais j’ai plus grandi à l’époque de Jordan. Sur la période actuelle, j’ai pas de vrais fans de joueurs mais c’est plus une équipe. C’est celle des Spurs. Je suis pas un grand fan de NBA. Je vais pas mentir. C’est pas le basket que je préfère mis à part les playoffs comme tout le monde où il y a de l’enjeu, de l’intensité. Je suis pas un fan de la saison régulière où je me lève la nuit pour voir les matchs. Pour me tenir informé, je vais voir les résumés mais je saurais pas vous dire qui est premier.
BR : Si vous n’êtes pas un grand suiveur de la NBA, avez-vous le souvenir d’un match NBA marquant : All Star Game, playoffs, performance d’un joueur ?
AJ : Oui je me souviens d’un match de playoff entre Boston et Détroit avec la mauvaise passe d’Isiah Thomas à la fin du match. Une séquence suivie d’une interception de Larry Bird. C’est un match que j’avais en cassette VHS. Je pense que la bande est un petit peu abimé par le nombre de fois que j’ai regardé ce match. Il y a aussi la finale des Bulls contre les Lakers en 91 avec du très très grand Jordan. Ce sont des matchs d’anthologies, des grands matchs de basket. Les derniers matchs des Spurs contre Miami en finale sont aussi des gros matchs.
BR : Quel serait le 5 majeur idéal de toute l’histoire de la NBA pour vous ?
AJ : A l’intérieur, je mettrais Wilt Chamberlain. Aux arrières, Magic et Jordan. En 4, Tim Duncan. Dirk Nowitzki n’est pas loin. C’est dur de faire un 5 comme ça. Et je rajouterais aussi Kobe Bryant.
BR : Suivez-vous quand même la saison actuelle ?
AJ : Je suis au moment où comptent les matchs pour savoir qui est qualifié pour les playoffs (rires)
BR : Vous pensez que San Antonio va garder son titre ? Qui voyez-vous en Finales NBA ? Qui serait champion NBA en 2015 dans ces cas-là ?
AJ : Je vais avoir du mal à dire une autre équipe favorite. Les Spurs ont les moyens de conserver leur titre cette année même si chaque année, ils vieillissent et que ça sera de plus en plus dur. Ils ont encore un niveau de basket en avance par rapport aux autres. Ils ont un jeu où on a tendance à dire que c’est un jeu à l’européenne. S’ils se font rattraper par les autres équipes… . Il y avait l’attaque en triangle de Chicago qui avait bien marché car Phil Jackson était en avance sur les autres à l’époque. Popovich a mis en place aussi son système de jeu autour des joueurs internationaux. Si Parker et Ginobili sont capables de finir la saison, on leur demande pas de finir la saison, mais d’être à leur meilleur niveau, San Antonio peut garder son titre.
BR : Entraîner un club ne vous a pas tenté après votre carrière ?
AJ : C’est une passion que j’ai eue pendant toute ma carrière. J’ai passé mes diplômes d’entraîneurs que j’ai aujourd’hui. C’est quelque chose de tellement passionnant que je l’aurais tenté. Mais plus ca allait, plus la fin de carrière arrivait, que peut-être j’ai perdu cette envie de devenir entraineur. Une fois ma fin de carrière qui arrivait, l’entrainement n’était pas ma priorité.
BR : Quelle différence faites-vous dans l’évolution du basket masculin entre votre époque et celle d’aujourd’hui ? (en terme technique, tactique)
AJ : Oui il y a forcément des évolutions. Les joueurs sont devenus beaucoup plus athlétiques. Au tout début de ma carrière, les postes 4 qui shootaient très bien, il y en avait pas forcément dans toutes les équipes. Aujourd’hui même les postes 5 peuvent commencer à tirer à 3 points. Il y a une évolution sur l’adresse, la vitesse, le côté athlétique qui a amené des modifications tactiques. Au début de carrière, les systèmes étaient encore des choses importantes. Mes premières années, on jouait avec des possessions de 30 secondes. Tactiquement, on faisait autre chose. On se servait beaucoup moins de pick n’roll qu’aujourd’hui. Sur le nombre de passes, les enchaînements de système qui étaient longs, aujourd’hui il y a beaucoup moins de choses comme ça car le règlement a été modifié : règle des 24 secondes, la ligne à 3 points qui a reculé. Les changements de règlements ont fait que les entraîneurs ont dû faire évoluer le jeu. Evolution tactique oui dû au coté athlétique qui est devenu très très important en France.
BR : On assiste à un championnat de France de Pro A irrégulier avec des champions différents en presque 10 ans. Quel est votre regard à ce sujet ?
Premièrement, on peut dire que c’est génial. Chaque année, on sait pas qui sera champion à chaque saison. Tout le monde y croit. Les petits comme les grands clubs. Tout le monde peut avoir le projet d’aller au bout. Moi quand j’ai commencé au départ, on savait qu’on allait finir dans les quatre premiers. C’est quelque chose de bien. Après, il y avait Limoges, l’Asvel, et Pau qui étaient les gros clubs. Les budgets des clubs se sont resserrés, il y avait moins d’écarts. L’ouverture des frontières a favorisé une certaine homogénéité dans certaines équipes.
Deuxièmement, on peut dire que c’est pas bon. Il y a un nouveau club champion et il y a pas d’identité forte de clubs qui se battent chaque année. C’est indéniable qu’il faille avoir des clubs en France vraiment moteurs qui doivent dominer certaines années.
Troisièmement, avoir un champion de France différent tous les ans fait qu’on a une équipe différente en Euroligue. Les joueurs réapprennent ou apprennent à jouer en Euroligue. Et c’est un problème pour exister en Europe. Il faut 3-4 ans pour pouvoir vraiment apprendre et être un joueur expérimenté à ce niveau-là. C’est jamais évident d’avoir des équipes qui savent jouer à ce stade.
Il y a donc trois façons de voir. Et ca semble important qu’il y ait une hiérarchie dans le championnat de France. Il faut 3-4 saisons pour que l’ensemble du basket français se réfèrent à 2-3 clubs réguliers qui soient mis en avant par rapport aux autres. Et pour que ça puisse tirer vers le haut le basket français. Et tout le monde en sera gagnant.
BR : Si on note une irrégularité dans le championnat de France, que faire pour que les clubs français brillent en Euroligue ? Les clubs ont du mal à atteindre le Top 16. Certes il y a la problématique du budget mais encore ?
AJ : Oui c’est le budget. Il y en a pas suffisamment. En France on a 10 millions pour les gros clubs. 7 millions cette année. Mais faut pas oublier les charges, les impôts. C’est une législation différente par rapport à d’autres pays. 5 millions en Turquie, ce ne sont pas les mêmes qu’en France. Les joueurs que l’on a sont pas tous des joueurs référencés Euroligue. Un club français participant à l’Euroligue arrive à prendre quelques gros calibres de joueurs. Mais l’ensemble du groupe n’a pas cette expérience Euroligue, internationale. C’est-là que c’est un peu dur pour les clubs français ajouté aux budgets qui sont pas suffisamment importants. On a donc du mal à exister à ce niveau-là.
BR : Quel regard portez-vous sur les récentes performances des équipes de France : champions d’Europe 2013, médaillé de bronze en 2014 chez les garçons et vice-championnes olympique 2012 et vice-championne d’Europe en 2013 chez les filles. Pensez-vous que la France va dominer sur le plan européen voire mondial cette année et les cinq années à venir ?
AJ : Dominer sur le plan mondial et européen sur les cinq années à venir est je pense quelque chose de difficile à faire. Y être présent, ça c’est autre chose. Il y aura des années où ca sera pas facile d’être dans le dernier carré. On peut faire un gros écart à l’image de l’Espagne cette année qui se voyait en finale. Sur un match, même si les Français ont été très très bons, ils n’ont pas réussi. Quand on est dans les phases finales, à partir des huitièmes, tout se joue sur un match. C’est compliqué et tout est possible. Par contre, exister à chaque phase finale, de se rapprocher, d’être finaliste, demi-finaliste, d’avoir des médailles, il faut que ça soit l’objectif. Avec la France et la génération Parker qu’il y aura encore en 2015 et 2016, il y a de quoi faire des choses très bonnes. Cette Coupe du Monde a montré que la France pouvait exister sans Tony Parker. Avec cette jeune génération qui arrive, c’est quelque chose de très rassurant pour le basket français. Et ça donne des possibilités. On fait partie quand même des équipes qui dominent. Ca fait 3 années de suite qu’on est dans les phases finales. Ca veut dire qu’on est tout de même performant.
BR : Quels conseils donneriez-vous aux garçons et filles qui veulent effectuer une carrière pro comme la vôtre ?
AJ : Bien travailler à l’école, c’est s’assurer d’être stable dans sa tête aussi. Tout le monde n’est pas sur d’être professionnel. C’est quelque chose de très difficile aujourd’hui. Il y a tellement d’aléas autour des blessures, des choix de carrière, soit des éléments qu’on ne peut pas maîtriser tout le temps. Donc garder une activité intellectuelle à côté. Ensuite lorsqu’on est jeune joueur, il faut garder du plaisir dès le début. Le plaisir permet de travailler beaucoup plus. Pour ça, c’est en travaillant, en se donnant violence. Là on prend plus de plaisir. C’est aussi s’enrichir en basket. Certes, y a la NBA, mais aussi l’Euroligue, pleins de compétitions internationales. C’est s’enrichir pour avoir une culture basket. Entre le plaisir, la culture basket et le travail, on peut au moins s’épanouir dans quelque chose. J’ai une phrase qui dit pendant que je dors, y en a qui travaillent. Donc travailler toujours au maximum, utiliser son temps pour être performant. Très jeune, à 12-13 ans, j’étais un mini-pro dans ma tête. Je pensais déjà au lendemain au basket avant de sortir avec les copains. Y a des sacrifices à faire. Voilà les 2-3 conseils et surtout garder une activité à côté. On est jamais sûr d’être pro.
BR : Par rapport à votre carrière, avez-vous gardé tous les maillots que vous avez portés ?
AJ : Oui j’ai gardé un maillot de chaque saison. Mais aussi ceux des All Star de jeunes, de l’équipe de France. Mais aujourd’hui, ils sont dans un sac au fond d’une armoire. J’ai même mon maillot de champion de France minime en 93 jusqu’au dernier maillot de ma dernière saison avec Strasbourg avec la finale perdue face à Nanterre. Ca fait une belle collection.

Aymeric Jeanneau entouré d’Isabelle Fijalkowski et Jacky Chazalon lors de la remise de son prix du club des Internationaux (c) Bellenger-IS-FFBB
« Lorsqu’on est jeune joueur, il faut garder du plaisir dès le début. C’est en travaillant, en se donnant violence. C’est là qu’on prend plus de plaisir. C’est aussi s’enrichir en basket. Certes, y a la NBA, mais aussi l’Euroligue, pleins de compétitions internationales. C’est s’enrichir pour avoir une culture basket. Entre le plaisir, la culture basket et le travail, on peut au moins s’épanouir dans quelque chose. Travailler toujours au maximum, utiliser son temps pour être performant. Y a des sacrifices à faire. Voilà les 2-3 conseils et surtout garder une activité à côté. On est jamais sûr d’être pro ».
BR : Vous possédez des produits dérivés ?
AJ : Après j’ai gardé dans une boite les médailles des villes de Strasbourg, de Cholet, les médailles de champion. Mais les produits dérivés non. Je dois avoir un ou deux t-shirts de finales.
BR : Vous êtes consultant Canal sur la Pro A ? Comment vous a-t-on contacté ?
AJ : J’ai commencé pour être interviewer du All Star Game. J’avais adoré cette expérience car c’est sympa d’être derrière au lieu d’être interviewé. Quand j’ai arrêté ma carrière en 2013, Canal Plus avec David Cozette cherchait quelqu’un de disponible. J’avais commencé par le championnat de France en tant que consultant sur le plateau puis sur le terrain. Ca s’est très bien passé et je prends beaucoup de plaisir à le faire. C’est agréable d’être au bord du terrain de façon différente et de faire ressentir le match au téléspectateur.
BR : Comment préparez-vous à commenter un match ?
AJ : Je prends quand même le temps de voir l’actu des clubs, des joueurs, voir où ils en sont, s’ils sont dans de bonnes ou difficiles phases. J’essaie d’appeler un joueur ou deux pour avoir un peu plus d’infos avant le match et s’ils sont capables de m’en donner. Une fois dans la salle, on va discuter avec les joueurs, les entraineurs. Je suis pas un commentateur mais un consultant. C’est pas le même rôle. Je suis là pour faire comprendre le basket aux téléspectateurs. Je suis dans cette position d’expliquer le basket à une personne qui ne connait pas vraiment. Si je parle de pick n’roll aux gens qui connaissent, ils vont comprendre. Si quelqu’un regarde un match et qu’on donne des termes plus compliqués, ça va pas l’intéresser. J’essaie de m’adapter comme si c’était un public novateur et leur donner envie de regarder un match la semaine d’après.
BR : Vous êtes aussi manager général développement au club de Strasbourg. En quoi consiste cette fonction ?
AJ : On est deux managers généraux à Strasbourg. Jerome Rosenstiehl s’occupe de tout qui est administratif du coté club et sportif. Et moi je manage des équipes pour trouver de nouvelles ressources, innover au club, acquérir des partenaires que ce soit au niveau de la communication et de notre site internet ou au travers d’actions qu’on va mener : un programme ticketing de développement pour la billetterie. C’est un poste que le club a crée et dans lequel je m’investis à fond pour qu’il poursuive son évolution et atteigne ses objectifs. Des projets afin que Strasbourg fasse partie des grands clubs français et s’installe au niveau européen.
BR : On va conclure cette interview avec votre mot de la fin ?
AJ : Le basket est un magnifique sport qui véhicule beaucoup de valeurs : collectif, partage, famille. J’ai eu la chance de vivre une riche carrière de joueur. Je le souhaite à tous ceux qui ont ce rêve. Que le basket français à travers tout l’équipe de France, et les clubs, puissent continuer à avancer, donner du plaisir aux gens. C’est l’essentiel. Et il faut le partager encore avec plus de monde.
BR : Merci Aymeric pour votre disponibilité et d’être revenu sur votre carrière.
AJ : Avec plaisir. Merci beaucoup d’avoir pensé à moi.
FICHE D’AYMERIC JEANNEAU
- Né le 10 octobre 1978 à La Roche-Sur-Yon
- 1,84 m
- Meneur
- 12e meilleur passeur de l’histoire de la Pro A (1 172)
En Equipe de France
- Nombre de sélections : 56
- Nombre de points : 150
- Record : 16
- Première sélection : le 27 novembre 2002 au Mans contre l’Estonie
- Dernière sélection : le 20 septembre 2009 à Katowice contre la Croatie
Il participe au Mondial 2006 et à l’EuroBasket 2009
En club
- Cholet (1996-2003)
- Le Havre (2003-2004)
- Strasbourg (2004-2006)
- Villeurbanne (2006-2010)
- Strasbourg (2010-2013)
Titres
- Champion de France : 2005, 2009
- Coupe de France : 1998, 1999, 2008
- Semaine des As : 2010




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